Le contrat ou la loi ? Le contrat et la loi !

Publié le mardi  21 novembre 2006
Mis à jour le dimanche  19 novembre 2006
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« Le contrat se substituera à la loi » annonce catégoriquement Ségolène Royal à la télévision. Chirac a fait le même discours au Conseil économique et social. Mme Parisot plaide encore plus fortement dans le même sens. Et M. Sarkozy aussi, dans ses récents discours d’Agen et de Périgueux.

Voilà qui semble faire un nouveau mais dangereux - consensus entre la droite et gauche. Le Medef est ravi, lui qui veut chercher, d’ avance, à paralyser une future éventuelle majorité parlementaire de gauche pour qu’elle ne puisse pas légiférer souverainement sur le droit du travail et le droit social, ni reconstruire ce qui a été détruit dans le Code du travail depuis un certain 21 avril 2002 …

Surprenant, le retour de cette "nouveauté qui consiste à opposer loi et contrat !

Qu’ est-ce que le « contrat » ? Un accord qui implique les « partenaires sociaux » donc le Medef. Si ce dernier signe, c’est un « contrat », une convention », un « accord ». Si ce dernier ne signe pas, c’est un désaccord, une carence, un blocage. Pour avancer il faut qu’un ou des syndicats de salariés fassent des concessions, renoncent à des droits, pour que la « négociation » aboutisse. Certains appellent cela « donnant-donnant » ou « gagnant-gagnant », mais c’est souvent « gagnant-perdant ».

"Le contrat" est dépendant de l’accord du Medef tandis que la loi est dépendante d’une majorité du Parlement élue démocratiquement au suffrage universel.

Quand la majorité est de droite le Medef se fécilite des lois et en réclame, quand elle est de gauche, il s’en plaint et exige des "refondations sociales" contractuelles…

Avec les « contrats » entre « partenaires sociaux » ce n’est ni la règle de la majorité ni la démocratie qui l’emporte comme lors des élections républicaines. C’est un rapport de force pipé : le Medef est électoralement un groupuscule qui obtient très peu de voix aux élections des prud’hommes, mais il est très puissant financièrement, économiquement, idéologiquement, politiquement, ce qui lui permet d’entraîner derrière lui la masse du petit patronat des Pme, Pmi, Tpe. Il y a 1,2 million de patrons dont 1 million de dirigeants d’entreprises de moins de 10 salariés, 97 % d’entreprises de moins de 50 salariés, et seulement 1000 entreprises de plus de 1000 salariés. Le Medef, c’est essentiellement les plus de 1000.

Les grands « accords » ou « contrats » signés entre « partenaires sociaux » dépendent de la volonté restreinte, du lobbying, d’une poignée de puissants capitaines de la finance et de l’industrie, ceux qui comptent dans les 500 plus grandes fortunes de France, qui augmentent chaque année leurs bénéfices privés de plusieurs milliards d’euros.

“En face”, dans la relation contractuelle, il y a 15 500 000 salariés du privé actifs occupés (sans compter les jeunes salariés en formation, les chômeurs temporairement privés d’emploi et les salariés retraités). Leurs cinq syndicats déclarés « représentatifs » depuis les critères de1945 et l’arrêté de 1966, obtiennent environ 4,5 millions de voix, tous ensemble, aux élections des prud’hommes. De nouveaux syndicats sont nés (Fsu, Unsa, Sud-solidaires,) qui sont même parfois plus représentatifs que certains des syndicats reconnus (Cftc, Cgc-Cfe).

En 1945, le grand patronat comptait environ pour 11 % des voix, et les syndicats de salariés pour le reste, plus de 85 %. C’est ce même pourcentage de représentants qu’a, depuis l’après-guerre, le patronat au Conseil économique et social. Au grand dam du Medef, car il ne cesse de s’en plaindre tous les jours. Mais le patronat ne s’y était pas opposé à l’époque, il avait tellement collaboré avec l’occupant nazi qu’il « rasait les murs ». Ce qui ne l’empêcha pas, sous de Gaulle et Pompidou, en 1966-1967, d’obtenir que, dans les ordonnances sur la Sécurité sociale, le paritarisme soit de 50/50. Pour être encore plus assuré de son pouvoir, le CNPF exigea même la suppression des élections à la Sécurité sociale ! Ainsi n’était-il plus à la merci des votes des assurés sociaux, ni au plan patronal ni au plan salarié ! La cooptation permanente l’emporta de 1967 à nos jours, excepté une seule élection démocratique, qui eut lieu sous la gauche en 1983. Soit, aux différentes institutions, la moitié des sièges pour le patronat et l’autre moitié pour les syndicats de salariés : c’était déjà un coup de force en 1967 que d’imposer « l’égalité » entre un peu moins d’un million de patrons et dix millions de salariés.

Mettre aujourd’hui encore sur le même plan, 1,2 millions de patrons et 16 000 000 de salariés est un « paritarisme » encore plus curieux : non seulement ce n’est pas un système du type « un humain, une voix », non seulement ce n’est pas démocratique, non seulement cela ne corrige pas le déséquilibre qui existe manifestement au détriment des salariés, mais c’est un système qui favorise les plus favorisés ! La force dominante qui en résulte est forcément une forme de « dictature patronale ». Il suffit ensuite que le Medef trouve la complicité de syndicats complaisants, même minoritaires pour, en sauvant les apparences, imposer ce qu’il veut. Quand Medef veut, les choses se font, quand Medef ne veut pas, elles ne se font pas.

Pourtant il semble logique et indispensable aux yeux de tous qu’il y ait négociation sociale, synergie entre « contrat » et « loi » pour assurer le bon fonctionnement social de notre République. Encore faut-il que les modalités de ces négociations soient établies : que tous les syndicats de salariés ayant un certain seuil de représentativité soient reconnus comme tel, sans ostracisme. Que les accords soient validés selon leur caractère majoritaire : c’est-à-dire que les syndicats de salariés qui les signent représentent une majorité de salariés et non une minorité (actuellement les « accords majoritaires » institués par la loi Fillon du 4 mai 2004 sont établis par « ordre » - le nombre de syndicats qui signent - et non par « tête » - le nombre de salariés représentés -selon un système de calcul d’avant la Révolution française). Que les institutions représentatives du personnel ne soient pas seulement « consultées » mais disposent d’un droit à « un avis conforme » empêchant que l’employeur fasse tout ce qu’il veut en toute chose (heures supplémentaires à gogo, licenciements boursiers, etc.). Que le chantage à l’emploi, au salaire, au « principe de défaveur » soit interdit dans « l’ordre public social » de la République. Que l’ordre public social commun à tous les salariés (durées du travail, Smic et grilles de salaires, droits syndicaux et de grève, protection face aux licenciements abusifs, protection en matière d’hygiène, sécurité, santé au travail) soit respecté par tous.

Mais on sait hélas, que ce n’est pas le cas dans la réalité. Aujourd’hui le droit du travail n’est plus assez protecteur, le Code du travail est menacé dans son existence même, les violations de l’ordre public social sont quotidiennes.

Loi ou contrat ? loi et contrat !

Pourtant la synergie est théoriquement facile, dialectique. Tout élève de classe terminale, sait rédiger un beau devoir académique, thèse, antithèse et synthèse : « Il faut autant de contrats que possible et autant de lois que nécessaire. » Dans l’histoire des relations sociales du XXe siècle, il est bien connu que, parfois, selon les rapports de force et les grèves, la négociation a permis d’aller plus vite et plus loin que le législateur (accords Matignon) et que, parfois, c’est le législateur qui a débloqué des situations et a fait progresser le droit du travail plus vite que les partenaires sociaux ne le souhaitaient ou ne le pouvaient (lois sur les 39h, la retraite à 60 ans, les 35 h). Trop souvent des négociations ne sont pas respectées (accords interprofessionnels du 31 octobre 1995), et il faut la loi pour les étendre ou les imposer. Trop souvent des lois ne sont pas suffisamment appliquées (durées maxima du travail pourtant limitées à 10 h par jour et 48 h par semaine), et il est toujours possible de s’appuyer sur la négociation pour améliorer le rapport de force et obtenir de meilleurs contrats réels.

Il est naturel, même dans un régime parlementaire, que le gouvernement et l’Assemblée consultent les partenaires sociaux avant et pendant l’élaboration et l’adoption d’un projet de loi ; c’est évidemment plus démocratique, plus dynamique. Il est naturel que le législateur souverain s’inspire d’accords déjà passés ou en cours de discussion entre partenaires sociaux.

La complémentarité, la synergie entre loi et contrat ne devraient donc poser aucun problème entre partenaires désireux d’arriver à un résultat.

Mais telle n’est plus l’intention du Medef, telle qu’elle se profile dans sa campagne actuelle « pour faire triompher le contrat contre la loi ». le Medef, lui, veut rendre la négociation sociale "obligatoire". C’est pourquoi Mme Parisot veut aller jusqu’à faire modifier l’article 34 de la Constitution.

Que dit cet article 34 de la Constitution ?

Que c’est le Parlement qui légifère « en matière de droit du travail, de droit social et de protection sociale »… Dans la nouvelle vision du Medef, la consultation obligatoire entre partenaires sociaux doit précéder automatiquement tout vote au Parlement. Pire, l’instance souveraine élue au suffrage universel devrait se voir privée de sa souveraineté sur les sujets concernant l’entreprise et ne pourrait plus qu’avaliser ce qui est sort des accords patronat-syndicats. Avaliser ou rien. C’est-à-dire que le Parlement perdrait son droit de légiférer en ce domaine, sauf pour entériner un accord que le patronat aurait accepté avec les syndicats.

C’est totalement différent : il s’agit de façon, à peine masquée, d’un droit de veto « patronal » sur tout ce qui concerne le droit du travail.

Un tel changement ne serait pas une petite chose : il marquerait le passage d’une république démocratique à une république corporatiste.

Il s’agirait là d’une évolution théorique majeure qui, de loin, dépasserait la question des 35 h : c’est tout le Code du travail qui serait en cause, le principe d’un Code du travail décidé au Parlement serait contesté.

Certes, le patronat n’a jamais aimé que le Parlement, surtout lorsque la gauche y est majoritaire, lui force la main pour régler ce qui se passe dans les entreprises. Il a donc, de longue date, construit une idéologie selon laquelle « l’économie devait échapper à la politique », et « l’entreprise aux gouvernants ». De même qu’il fallait privatiser le secteur public, il fallait que les règles des entreprises ne procèdent que des employeurs. Si le Medef n’était pas d’accord, rien ne devait plus se faire. C’est ainsi que s’effectuera, selon M. Sarkozy, la rupture avec le « modèle social français » dans « la France d’après ».

Davantage de contrats individuels et non plus collectifs, moins de loi, flexibilité, souplesse, libéralisation maximum du droit du travail : ce devait être aux partenaires sociaux, et non plus au législateur, de décider. C’était la façon pour le Medef d’imposer en pratique son pouvoir dans un système corporatiste.

Qu’est-ce qu’un système corporatiste ?

Le corporatisme est, par excellence, un système antirépublicain où la force de groupes de pression sociaux l’emporte sur les droits universels, où la toute-puissance d’un patronat appuyé sur des syndicats officiels et consentants prévaut sur celle de l’ensemble des citoyens.

C’est un système qui fonctionnerait très bien en harmonie avec le communautarisme tant prisé par Nicolas Sarkozy.

« La société corporative est essentiellement celle où est niée l’idée de classe et affirmée l’idée de profession. » Une définition qui correspond bien au système de pensée de Mme Parisot et, on le verra ci-dessous, de M. Sarkozy.

« Les éléments humains sont mis en place par la nature qui attend d’eux l’effort. Ils sont placés par voie d’autorité dans des cadres donnés, des sociétés naturelles. Il ne s’agit pas de sociétés contractuelles, réalisées par l’accord des hommes en vue du meilleur service des intérêts de quelques-uns ou d’une plus noble cause. Il s’agit de sociétés assignées à l’homme par la nature comme cadres de vie, champs d’action, lieux d’exercice des devoirs, cercles intermédiaires entre l’homme et l’univers.
« Ces unions naturelles de personnes sont nécessairement composées d’êtres inégaux, la nature n’ayant pas accordé les mêmes capacités aux membres de ces unités de collaboration. »
« Les partisans de cette doctrine affirmaient que, si l’on réussissait à inculquer à ces groupes (particulièrement le capital et la main-d’œuvre) un sentiment d’obligations et de droits mutuels comme ceux qu’on attribue aux "états" (groupes sociaux) du Moyen Âge, il serait possible d’établir un nouvel ordre stable fondé sur l’"unité organique". Les seuls États qui aient adopté une représentation corporatiste sont les régimes fascistes de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Espagne, du Portugal, du gouvernement français de Vichy et de diverses dictatures sud-américaines.

« Dans tous ces exemples, les structures corporatistes constituaient avant tout une façade derrière laquelle régnait un pouvoir autoritaire dont l’objectif principal, et la conséquence, était la répression exercée par l’État sur les organisations ouvrières indépendantes. » Belle définition théorique de ce que nous sommes en train de commenter.

Communautarisme et corporatisme seraient les deux mamelles de la « France d’après » si Mme Parisot et M. Sarkozy l’emportaient.

Avancer sur quel « dialogue social » ?

« Nous préconisons une réforme de la Constitution, afin de reconnaître le droit à la négociation et de permettre aux représentants des employeurs et des salariés de fixer les modalités d’application des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale », déclare donc Mme Parisot, visant mot à mot l’article 34 de la constitution, dans Les Échos du 29 août 2006.

Laurence Parisot trouve « formidable qu’on aborde ce sujet-là » avec le rapport de Dominique-Jean Chertier.

François Chérèque approuve : « La crise du CPE a montré à quel point notre pays avait besoin d’acquérir une culture de la négociation. » Il a raison sur ce point. Car, ajoute-t-il, encore avec raison, les syndicalistes salariés doivent « avoir confiance en eux-mêmes », « compromis ne veut pas dire compromission ». « Il ne faut pas opposer négociation et conflit. » C’est encore vrai, il ne faut pas absolument pas opposer démocratie sociale et démocratie politique.

Mais alors pourquoi faut-il changer la Constitution ? Pourquoi faut il une loi pour imposer que la loi ne l’emporte plus sur le contrat ?

Pourquoi figer ce qui est évident, pourquoi rendre obligatoire ce qui doit être dynamique, pourquoi introduire des rigidités entre démocratie sociale et démocratie politique alors qu’on parle, à juste titre, de synergie ?

Qu’avance le rapport Chertier, qui semble approuvé par le Medef et la direction de la CFDT ?

Il préconise notamment de rendre obligatoire un délai de trois mois entre l’annonce d’une réforme et l’adoption du projet de loi correspondant en conseil des ministres, pour favoriser la concertation. La Constitution serait révisée de façon à permettre l’instauration d’une telle obligation. Dans le cas de réformes du droit du travail, les partenaires sociaux pourraient mettre à profit ce délai de trois mois pour se saisir du sujet. S’ils arrivaient à un accord, le gouvernement et le Parlement seraient contraints de le reprendre intégralement à leur compte ou de renoncer à la réforme.

Enfin, il recommande une réforme du Conseil économique et social, devant lequel le Premier ministre présenterait chaque année un agenda de réformes élaboré en concertation avec les partenaires sociaux. (Le Medef réclame en sus qu’il y soit instauré un vote par « ordre », c’est-à-dire par groupe professionnel ou par corporation représentée, et non plus par « tête », par membre.)

Ils veulent donc bel et bien limiter le pouvoir souverain des parlementaires ! Pourquoi cette défiance ? « Parce que ni les uns ni les autres ne connaissent l’entreprise », répond Mme Parisot.

D’où la question crue : corporatisme ou République, qui dirige ?

Le corps médical accusera les parlementaires de ne pas connaître la médecine, les chercheurs accuseront les députés de ne rien connaître à la recherche, les enseignants reprocheront aux élus de tout ignorer de la pédagogie. Et le Parlement sera tenu en lisière par chacun de ces groupes, il ne pourra plus faire la loi sur aucun de ces sujets sans être soumis à des pressions, des calendriers, des textes préétablis. C’en sera fini du suffrage universel en matière de droit du travail, de droit social et de protection sociale.

S’il avait fallu trois mois de délai entre les accords Matignon des 7 et 8 juin 1936 (les congés payés n’étant concédés que le 11 juin) et le vote des lois pour les 40 h et lesdits congés payés, que se serait-il passé ? La même question peut être posée pour les accords de Grenelle, et aussi pour le deuxième vote du Parlement d’avril 2006 qui a annulé judicieusement, mais en catastrophe, le CPE.

Pourquoi le Parlement serait-il contraint ? Pourquoi serait-il subordonné à ces négociations, à ce calendrier, aux accords signés ? Pourquoi ne pourrait-il ni les amender ni les contredire ?

Imaginons qu’un, deux ou trois syndicats se fassent les interlocuteurs privilégiés du Medef et concluent des accords répétés avec lui, sans représenter pour autant une majorité de salariés, qu’arriverait-il ? Une minorité du haut patronat et de l’appareil du mouvement syndical, s’appuyant sur une Constitution modifiée, imposerait sa loi, disons même sa dictature.

Serait-il excessif dans ce système corporatiste de parler de « dictature patronale » ? À supposer qu’ils aient gain de cause sur tout ce qu’ils veulent mettre en chantier ou tentent actuellement d’imposer (réécriture des 3851 articles du Code du travail, employabilité, séparabilité, contrat unique précaire, durée du travail décodifiée, suppression du Smic, régression des droits syndicaux, régression de l’inspection du travail, régression des prud’hommes, régression du droit pénal du travail, domestication du droit de grève et constitutionnalisation du « dialogue social imposé »), dans quel régime vivrons-nous ?

Alors à gauche, des dirigeants avisés ne devraient pas si facilement s’aventurer dans un consensus avec le Medef pour que le « contrat se substitue à la loi ».

Gérard Filoche, le 19 octobre 2006, pour Démocratie & Socialisme


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