Le capitalisme comme rapport social

Article de Daniel Rome
Publié le dimanche  29 avril 2007

par  Rome Daniel
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Le poids des conditions de travail joue un rôle déterminant dans la qualité de la santé mentale des salariés. Le chômage corrode toute la société et c’est une arme aux mains du patronat pour dégrader la condition salariale dans son ensemble : gel des salaires, intensification et précarisation du travail perte de substance du code du travail.

Cette dégradation des conditions de travail s’accompagne d’un aspect trop longtemps ignoré : la santé et le bien-être au travail. Cet aspect de la santé est aujourd’hui un enjeu d’avenir pour la vie au et hors travail si l’on veut mener une réflexion sur les formes de domination dans l’entreprise et au travail. Aujourd’hui, flexibilité et précarité de l’emploi marquent la vie de chacun : ceux qui les vantent, ceux qui les vivent et ceux qui les redoutent. Se pose pour le mouvement syndical et les organisations politiques la question suivante : considérer le plein emploi comme une bataille de premier plan implique aussi de poser la question de la transformation du travail de ces conditions d’exercice et des emplois utiles pour une économie qui s’engagent dans la satisfaction des besoins et du bien être des gens dans la cadre du développement durable. Est-ce que tous les emplois doivent être défendus comme par exemple dans l’industrie de l’armement ? Est-ce que sauver les emplois suffit dans le contexte d’aujourd’hui ?

Quand un patron peut se permettre, en un week-end, de déménager les machines, mettant à la rue les salariés sans autre forme de procès, alors, dans ce pays, peu de travailleurs échappent à l’angoisse et à la peur du lendemain. Les femmes, parce que moins qualifiées, et les salariés les plus âgés sont plus particulièrement exposés à cette incertitude. Michel Gollac (Michel Gollac, Serge Volkoff (2000), « Les conditions de travail », Repères - La Découverte.) estime qu’il est « important de voir que la pression subie par les plus fragiles se transmet à des travailleurs qui sont mieux abrités, que ce soit par des formes de culpabilisation, de menace ou par un sentiment général d’instabilité d’où le concept de précarisation des stables dans la fonction publique par exemple. ».

En l’espace de 10 ans le nombre de salariés avouant craindre des sanctions pour leur emploi et leur rémunération est passé de 46% à 60 %. Ce taux est plus élevé pour les intérimaires et les salariés en CDD. Ces pathologies de la peur dont les uns et les autres souffrent érodent la confiance en soi. Elles comptent dans la mobilisation ou la démobilisation pour l’activité professionnelle. Pour certains cela peut aller jusqu’au dégoût pour le travail les plaçant dans l’incapacité d’aller travailler. La suppression de cette angoisse, comme celle de la crainte du chômage, fournirait des conditions permettant une autre implication au travail : plus épanouie, plus créatrice, plus efficace socialement et aussi économiquement. La sécurité sociale professionnelle et un nouveau statut du salarié revendiqués notamment par la Cgt sont de nature à lever cette peur du lendemain. Cela constituerait un acte marquant pour la santé mentale. Mais énoncer le problème ne suffit pas à l’inclure dans les mobilisations sociales comme un élément majeur de construction d’autres rapports sociaux ? Les dernières mobilisations le montrent : ces questions sont plus rarement l’objet de d’actions ou de grèves.

Il y a une responsabilité particulière dans le malheur, le chômage et la pauvreté. La question est comment est-il possible que notre société admette sans grand mouvement populaire cette situation. L’hypothèse explicative, c’est que le travail est un amortisseur et il a des effets de démobilisation. Quelles sont les incidences de la souffrance sur l’action ? La souffrance, causée par le travail. Habituellement on pense que la souffrance est un résultat de l’action, que c’est une issue anecdotique. Dejours pense au contraire qu’il y a un au delà de la souffrance.

Nous vivons une époque formidable où les technologies ont un vrai potentiel pour améliorer le contenu et les conditions de travail. Pourtant, à l’arrivée, les organisations du travail marquées par la recherche de rentabilité, produisent des effets délétères sur la santé mentale des salariés révélés par différents travaux scientifiques. Camouflées sous le mot de stress, les psychopathologies atteignent des travailleurs, quels en soient leur âge, leurs professions, leurs catégories. Ces clignotants nous alertent parce que dans une société qui valorise la performance individuelle et la rentabilité, le danger de leur généralisation existe. En faire le constat n’est pas suffisant ; il convient de remonter aux causes et de viser à y remédier. Le rapport entre les organisations du travail et les nouveaux risques pour la santé des salariés est devenu un sujet incontournable. Sous le poids des tabous, la santé mentale a été trop longtemps laissée de côté. Mais aujourd’hui, des femmes et aussi des hommes osent exprimer leurs souffrances.

Selon les informations recueillies, en 2000, par la Fondation sur les conditions de travail de Dublin, 28 % des salariés de l’Union européenne déclaraient être stressés. Un bref regard sur le passé montre que l’évolution des organisations du travail dans notre pays est à la fois liée à la recherche de profit et aux exigences collectives des salariés. Depuis la fin du 18e siècle, chacune des générations qui se sont succédées a pu avoir la certitude de vivre un processus d’accélération du progrès technique et des modes de production. A chacun des systèmes techniques et organisationnels correspond une organisation de l’économie et des structures de production mais l’émergence du nouveau ne fait pas totalement disparaître l’ancien. Cela se perçoit présentement. Ainsi, l’organisation scientifique du travail, qui se base sur une fragmentation du travail et une division entre conception et exécution, inapte à répondre aux contraintes actuelles du marché et de la société, marque cependant de nombreuses organisations du travail (voir le livre coordonné par PCS « le bas de l’échelle »).

Notons toutefois, qu’au cours du 20e siècle, sous l’effet conjugué des techniques, des avancées de la connaissance, des luttes sociales et de la législation, les conditions de travail se sont globalement améliorées. Ceci ne signifie pas qu’elles sont bonnes et épanouissantes partout et pour tous, d’autant que depuis une vingtaine d’années un tournant s’est amorcé. En effet, dans un contexte de crise économique et de globalisation des marchés avec l’exacerbation de la concurrence, les patrons réagissent. Depuis vingt ans, l’opportunité de l’évolution des technologies a été saisie pour modifier en profondeur les organisations du travail en cherchant à concilier les avantages d’une production de masse avec ceux d’une consommation sur mesure puisqu’il faut désormais « vendre pour produire ».

La nouveauté la plus marquante est sans doute la gestion en flux tendu. La disparition des encours et des stocks demande une souplesse, une réactivité et une flexibilité qui rejaillissent directement sur la qualité de l’emploi et les conditions de travail. En effet, dans ce type d’organisation, ce sont les hommes et non plus les stocks qui servent de régulateurs. La création d’emplois nouveaux n’a pas compensé la destruction massive des emplois anciens, aussi depuis la fin des années 1970, la France souffre d’un chômage de masse. Dans ce contexte, l’emploi devient une variable d’ajustement au service des logiques économiques et financières ce qui a de fortes conséquences sur la vie et la santé mentale des salariés. Mais il n’est pas graver dans le marbre que la recherche de la performance économique doit conduire à écraser la performance sociale. Au contraire, dans nos sociétés, les décideurs ne devraient-ils pas avoir le souci de maintenir un socle de vie sociale ? Le travail du dimanche, celui de nuit, est-il partout une réponse aux besoins de la vie sociale ? La productivité a-t-elle besoin, comme cela se pratique en Irlande, de l’ouverture des hypermarchés 24 heures sur 24 et sept jours sur sept ?

Construire la santé mentale au travail

Ce qui est déterminant pour la santé mentale des travailleurs, c’est à l’évidence le rôle qui leur est reconnu au travail ; là, leur parole est une richesse. En effet, ne sont-ils pas les mieux placés pour exprimer leurs souffrances, en détecter les causes ? Les entendre - et aussi les écouter - est indispensable pour mener une action de construction de la santé mentale. La parole permet de mettre en débat le travail réel et ses variations, de revenir aux règles du métier, celles qui créent du lien, renforcent les identités, produisent de la qualité. La parole est créatrice d’idées, elle place la prévention sur une perspective qui dépasse la coupure entre la conception et la réalisation du travail dans l’entreprise. Provoquer, organiser l’expression de cette parole est indispensable et aussi source d’efficacité qui sera d’autant plus significative que dominera l’esprit du Code du travail - adapter le travail à l’homme et non l’inverse - tant il est vrai que l’organisation du travail détermine la qualité de la vie au travail. Aussi, c’est au moment de construire une nouvelle organisation du travail qu’il est primordial d’agir.

Pour conclure

Je dirai que considérer le travail comme enjeu de reconnaissance de soi passe par une transformation de nos conceptions en termes de mobilisations sociales et d’activité politique. L’émancipation collective est étroitement liée à l’émancipation individuelle. De ce fait, la compétence ou la reconnaissance du caractère « professionnel » englobe tous ses éléments et accroît donc considérablement l’implication de la personnalité et le besoin d’autonomie au travail. Cette autonomie aussi est un appel à bousculer les hiérarchies et débouche sur une demande de reconnaissance sociale. Le salaire, toute progression dans la reconnaissance et la maîtrise des décisions de l’entreprise, le droit à l’information et à la parole, à la formation entremêlent indissociablement leurs aspects matériels et le respect de l’identité.

Ce gain progressif d’autonomie au travail a son ambivalence. L’engagement de la personnalité nourrit une volonté de maîtrise et une attente de reconnaissance de son utilité sociale, une valorisation nouvelle de la notion de métier. Il nourrit aussi le stress, le doute sur sa capacité personnelle à répondre à ce qu’on attend de soi. On passe progressivement du poids de l’obéissance explicite à celui des obligations implicites. Désaliénation possible et nouvelles aliénations s’entremêlent.

Daniel Rome
Problématique introductive à l’atelier C "Le capitalisme comme rapport social. Organisation du travail, dominations, idéologies. Concepts émancipateurs." (colloque 19&20 mai 06)


Espaces Marx

Daniel Rome est professeur d’économie et anime les ateliers d’économie du comité local d’Attac93sud


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