Grenelle à chaud

par Guy Kastler, membre de la Confédération Paysanne, représentant des Amis de la Terre au Grenelle de l’Environnement
Publié le samedi  27 octobre 2007

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UN NOUVEAU PLAN MARSHALL POUR UNE NOUVELLE CROISSANCE

C’est ainsi que l’européen Barroso, l’américain Al Gore et le français Sarkozy ont tous trois conclu le 25 octobre au château de l’Elysée la première étape du Grenelle de l’Environnement.

Après les millions de morts de deux guerres qui ont financé l’essor des industries de l’acier et de la chimie, il n’était plus possible en 1945 de relancer l’économie en demandant au peuple de se saigner à nouveau pour la patrie. Le Pacte National de la Résistance passé entre gaullistes et communistes invente alors un modèle fordiste à la française qui accompagnera les Trente Glorieuses : alimenter la croissance par la redistribution du pouvoir d’achat financé à l’abri de barrières tarifaires aux frontières par le pillage des ressources coloniales, obtenir l’adhésion populaire par un pacte à trois où l’État arbitre entre l’industrie qui s’installe au pouvoir pour définir la politique économique et les syndicats qui restent maîtres de la rue pour définir la redistribution sociale : le Grenelle de 1968 appliquera à merveille les règles de ce pacte pour sortir de la première crise culturelle de l’ère post-industrielle en la réduisant à une simple crise sociale. Le Plan Marshall, prêt massif qui permet au principal bailleur, les USA, de dicter des accords bilatéraux favorables à ses propres intérêts économiques, finance les investissements nécessaires.

Après avoir laissé la social-démocratie détruire le pilier communiste de ce pacte, Nicolas Sarkozy s’est chargé d’évincer le piler gaulliste pour s’attaquer à ses principes intouchables : libertés fondamentales, droit de grève, droits sociaux financés par les revenus du travail, minima sociaux financés par l’État… Avec le Grenelle, il tente un nouveau pacte. Dans une économie mondialisée où spéculation financière, maîtrise des technologies et brevets relaient l’exploitation directe du travail, il ne peut plus acheter la paix sociale par la redistribution intérieure de quelques miettes issues du pillage colonial. Il doit inventer un nouvel objectif de mobilisation sociale. La chasse à l’immigré, version française de l’axe du mal inventé par Busch au profit du complexe militaro-pétrolier, lui a certes permis d’éliminer le Front National, mais n’obtient pas en France une adhésion suffisante pour relancer la croissance par une économie de guerre. Al Gore et Barroso lui proposent une nouvelle croisade : la lutte contre le réchauffement climatique, ennemi suffisamment flou pour être à la portée des seuls experts qui diront aux peuples ce qu’il doivent faire. Après les dictatures « sociales » et le droit d’ingérence humanitaire du siècle dernier, la peur du réchauffement pourrait bien appeler de nouvelles dictatures et droit d’ingérence écologiques.

Pour arracher la fidélité du vote écologique à la social-démocratie, Nicolas Sarkozy élargit la version française du réchauffement climatique à l’environnement. Et pour courtiser les pouvoirs locaux, il va chercher un cinquième partenaire qui lui permet de proposer un nouveau pacte institutionnel français où le gouvernement arbitre entre d’une part l’industrie qui dicte ses lois économiques et d’autre part les ONG (pour plupart financées par l’industrie ou l’État) et les collectivités territoriales qui rejoignent les syndicats bien trop affaiblis pour emporter seuls l’adhésion sociale. Nicolas Hulot étant chargé d’apporter le soutien des médias. Cette adhésion est d’autant plus indispensable que l’effort d’investissement nécessaire à cette nouvelle croissance écologique sera demandé pour l’essentiel aux citoyens et aux contribuables locaux, l’État ne mettra pas un centime, « les prélèvements du Grenelle iront au financement du Grenelle ». De nouvelles normes et taxes « écologiques » aux frontières complèteront en remplaçant les anciennes barrières tarifaires supprimées par l’économie mondialisée.

Les résultats du Grenelle de l’environnement sont une merveilleuse illustration de ce nouveau pacte. Quelques exemples à chaud :

  • la relance du bâtiment sera financée pour l’État par l’emprunt (« rentabilisé en dix ans »), les HLM et par les particuliers : ceux qui ne pourront pas payer les nouveaux loyers ni emprunter iront habiter dans la rue, le DAL a de l’avenir,
  • la poursuite des grands travaux d’équipement (TGV, ports, canaux… à la place des routes) profitera d’une une taxe sur les camions étrangers,
  • la relance de l’industrie automobile et des appareils ménagers propres » sera financée par les consommateurs incités par de nouvelles taxes ou interdiction,
  • les incantations au développement des énergies renouvelables ne menaceront pas le nucléaire,
  • on augmente encore le financement public massif d’une recherche aiguillée par le brevet vers les seules technologies industrielles,
  • on ne « remet pas en cause les engagements pris » pour subventionner abusivement aux frais du contribuable les agro carburants de première génération qui augmentent le réchauffement climatique, affament les pays pauvres et accélèrent l’élimination des agricultures paysannes,
  • le développement de la filière biologique ne doit pas toucher à la PAC qui favorise les pratiques agricoles néfastes à l’environnement. Il sera ainsi alimenté d’abord par les importations de produits bio venant de pays moins disant socialement ou qui soutiennent mieux leurs producteurs bio.
    Les paysans bio français se contenteront d’un doublement du tout petit crédit d’impôt et les collectivités territoriales d’une révision des règles des marchés publics pour y intégrer les critères de proximité et de saisonnalité, modestes concessions destinées à leur faire avaler l’absence d’aides PAC et leur mise sous contrôle du lobby des Chambres d’Agriculture. Pendant ce temps, le Ministère de l’Agriculture peaufine son projet de généralisation de la certification de l’utilisation règlementairement durable des polluants agricoles, certification qui éliminera tous les petits paysans diversifiées et les pratiques agricoles les plus favorables à l’environnement mais non conformes aux règles sanitaires dictées par l’industrie. Des taxes sur les produits importés de pays moins disant écologiquement (règles de production et transport) viendront protéger ces exploitations certifiées en remplacement de l’ancienne préférence communautaire,
  • le plan de retrait de 30 molécules « préoccupantes » en 2008 (celles qui ne sont plus utilisées), 10 en 2010 et les dix dernières sans engagement de date était déjà acquis avant le Grenelle, et est un recul sur les accords obtenus dans les groupes de travail. En contre partie la FNSEA accepte de diminuer de 50% l’utilisation des pesticides en dix ans, « si possible », c’est-à-dire une fois que les firmes proposeront de nouveaux produits pour remplacer ceux dont le brevet est épuisé,
  • malgré les engagements de transparence, le secret industriel restera protégé et l’évaluation des nanotechnologies est reportée à plus tard,
  • au prétexte de montrer du doigt un ou deux industriels aux fautes trop visibles, la nouvelle philosophie de la responsabilité culpabilisera les comportements individuels des citoyens ou des producteurs en début de chaîne (paquet hygiène)

Que penser dans ce contexte des « doutes sur le contrôle des disséminations et l’intérêt des OGM pesticides » dont les cultures commerciales sont « suspendues » jusqu’aux « conclusions d’une expertise à conduire par une nouvelle instance qui sera créée avant la fin de l’année » ?

Alors que le commissaire européen à l’environnement s’apprête à interdire la culture de nouveaux maïs Bt au vu de nouvelles études mettant en cause leur innocuité pour l’environnement, cette suspension pourrait bien conduire à une absence de toute culture commerciale en France en 2008. Elle a ainsi l’avantage de rendre la monnaie aux ONG environnementales et aux syndicats de petits paysans qui en avaient fait leur principal cheval de bataille, tout en expliquant à la FNSEA, qui a chauffé ses troupes à blanc pour défendre les OGM, que c’est la faute à Bruxelles.

L’industrie semencière a de son côté déjà préparé cette concession à l’absence d’adhésion de la population européenne aux OGM. Au moment même où le mot biodiversité était affiché à chaque réunion du Grenelle, le sénat français leur permet de se passer du brevet en votant une loi interdisant les semences de ferme sauf en blé tendre où elle sont taxées de royalties au profit des semenciers. Alors que tous les brevets sur les OGM pesticides appartiennent majoritairement à l’américain Monsanto, les firmes européennes ne s’intéressent plus qu’aux OGM clandestins, non étiquetés ni évalués car qualifiés de plantes issues de sélection « traditionnelle » (plantes mutées ou issues de fusion cellulaire…), ou par absence de toute règle officielle (nanotechnologies).

Ce début de victoire sur les OGM montre la nécessité de s’engager dans le débat environnemental pour renforcer la défense des paysans et les résistances populaires, sans naïveté sur leur possible instrumentalisation pour accélérer les restructurations et la course aux innovations indispensables à la croissance.

Guy Kastler, membre de la Confédération Paysanne, représentant des Amis de la Terre au Grenelle de l’Environnement


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