« Valider des trimestres pour les petits temps partiels, qui touchent essentiellement les femmes »
Actuellement, au régime général et dans les régimes alignés, le nombre de trimestres validés par an pour la retraite n’est pas établi en fonction de la durée de travail réalisé mais en fonction du montant de la rémunération annuelle soumise à cotisation. Sont validés autant de trimestres que le salaire annuel représente de fois 200 heures de travail rémunérées au SMIC, avec au maximum quatre trimestres par an. Ce niveau de 200 heures correspond en gros à un emploi à temps partiel à 43% de temps complet (c’est-à -dire 15 heures hebdomadaires). Les personnes en dessous de ce seuil ne valident donc pas intégralement la période travaillée aujourd’hui. Désormais, il sera possible de valider un trimestre à partir de 150 heures payées au SMIC, ce qui correspond à un emploi avec un temps partiel supérieur à 32 % de temps complet (11 heures hebdomadaires environ). C’est une mesure juste et bienvenue. Mais elle ne concerne que très peu de salarié-es : en 2011, selon l’Insee, parmi les personnes en emploi, 4,4 % des femmes et 1,1 % des hommes ont un travail à temps partiel de moins de 15 heures par semaine.
Pour toutes les personnes à temps partiel (soit parmi les actifs, un tiers des femmes et 7 % des hommes), le problème récurrent est celui du niveau de la pension. Or rien n’est prévu pour l’améliorer dans la réforme présentée. Alors que le temps partiel est dans un cas sur trois imposé par l’employeur pour qui il est très bénéfique, une véritable mesure d’équité aurait été l’instauration d’une surcotisation patronale pour les emplois à temps partiel, qui permettrait de majorer le montant de la pension.
Cette modification des modalités de validation d’un trimestre contient aussi une disposition qui prévoit « la création d’un plafond afin de limiter les effets d’aubaine  » : ne seront prises en compte que les cotisations portant sur un revenu mensuel inférieur à 1,5 SMIC  » [2]. En pratique, il n’est pas dit si cette mesure avec ses différentes composantes constitue un coà »t ou une économie pour les caisses de retraite, avec d’un côté le coà »t supplémentaire lié à l’assouplissement des conditions de validation d’un trimestre, et de l’autre, le gain réalisé par l’instauration du plafond à 1,5 SMIC.
« Refondre les majorations de pension pour enfant  »
La majoration de 10 % de pension accordée aux parents de 3 enfants, qui représente un montant non négligeable de 6 milliards par an, est doublement injuste. Calculée au prorata de la pension, elle rapporte plus aux hommes qu’aux femmes alors que c’est la carrière féminine qui est pénalisée par les enfants. Proportionnelle, elle est plus forte pour les retraites les plus élevées et elle n’est pas imposée. Le gouvernement avait annoncé qu’elle serait revue et mieux dirigée vers les femmes. Que prévoit la réforme aujourd’hui ?
Le gouvernement annonce simplement qu’il « souhaite engager une refonte de cette majoration afin qu’elle bénéficie davantage aux femmes et puisse intervenir dès le premier enfant  » [3]. Mais ce n’est qu’au delà de 2020 que « la majoration actuelle sera progressivement plafonnée et transformée en majoration forfaitaire par enfant. Elle bénéficiera principalement aux femmes ». La refonte de cette majoration est renvoyée à plus tard, et on reste dans le flou complet sur son contenu !
La seule modification concernant cette majoration de 10 % qui prend effet immédiatement est… sa fiscalisation ! Elle rapportera 1,2 milliard d’euros dès 2014, et 1,5 milliard à l’horizon 2030, montants qui seront donc prélevés sur les revenus des retraités, femmes et hommes, ayant élevé 3 enfants. Cette baisse de leur revenu s’ajoutera à celle qui découle du report de six mois de la revalorisation des pensions et qui représentera une perte de 600 millions d’euros en 2014 (1,4 milliard en 2020) selon le chiffrage du gouvernement. Il est assez paradoxal de voir présenter au rang des mesures de justice envers les femmes un vague projet de refonte de la majoration renvoyé après 2020, alors que l’impact immédiat de sa fiscalisation sera dès 2014 une baisse du revenu des mères (pères aussi) de trois enfants.
Remarque : s’il est juste de revoir la majoration de 10 %, la démarche qui vise à mieux la diriger vers les femmes ne s’inscrit pas dans une politique en faveur de l’égalité de genre. D’une manière générale, les dispositifs familiaux sont indispensables pour majorer les pensions des femmes. Mais ils ne font que compenser a posteriori les inégalités de retraite entre les femmes et les hommes sans agir sur leur source. Pire, ils les entretiennent car ils enferment les femmes dans le rôle de mère. De plus, certains dispositifs ne sont attribués que s’il y a interruption d’activité. Cette conditionnalité incite les femmes à se retirer du travail, ce qui nuit à leur carrière, puis ensuite… au calcul de la pension. Au bout du compte, les rôles sexués sont pérennisés ; les femmes se voient attribuer des droits complémentaires… au détriment de leurs droits directs ! Une politique cohérente en faveur de l’égalité doit favoriser l’évolution vers un système de protection sociale qui rompt avec le modèle patriarcal. Ce qui implique, non pas d’étendre les droits dérivés pour les femmes, mais de renforcer leurs droits directs à une pension [4]. Les mesures proposées dans la réforme de 2013, avec notamment la poursuite de l’allongement de la durée de cotisation, vont continuer à pénaliser le droit direct des femmes à une pension.
« Mieux prendre en compte les trimestres d’interruption au titre de maternité  »
Cette meilleure prise en compte de la maternité concerne le dispositif de retraite anticipée à 60 ans pour carrière longue. Rappelons qu’en 2010, le PS était opposé au recul de l’âge de départ en retraite de 60 à 62 ans. Il avait promis, s’il revenait au pouvoir, de rétablir la possibilité de retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler tôt [5]. C’est ce qui a été fait en juillet 2012, avec un décret entré en application le 1er novembre qui élargit l’accès à la retraite anticipée prévu par la loi de 2003.
Mais les conditions pour être éligible à ce dispositif de retraite anticipé sont restrictives. L’une d’entre elles est d’avoir le nombre de trimestres cotisés requis pour la pension à taux plein [6] et une distinction est faite entre les trimestres cotisés et les trimestres assimilés [7]. Pour un départ anticipé à la retraite, sont pris en compte les trimestres cotisés et aussi quelques trimestres assimilés, qui sont alors « réputés cotisés  », mais dont le nombre est limité : selon le décret de 2012, il est possible de prendre en compte 4 trimestres au maximum au titre du service militaire, 6 trimestres au total pour les périodes d’arrêt de travail pour maladie, maternité et accident du travail. Les majorations de trimestres pour enfant ne sont pas prises en compte dans ce dispositif…
Le décret de 2012 a en réalité traduit une reculade du gouvernement : la promesse de retour à 60 ans pour les carrières longues s’est avérée, à l’étude, assez coà »teuse et les conditions pour y accéder ont été de ce fait restreintes. Ainsi, la distinction entre trimestres cotisés et trimestres assimilés qui existait dans la loi de 2003 a été maintenue : pourtant cette distinction, en limitant la prise en compte des trimestres assimilés, élimine de fait la plupart des salariés et surtout salariées qui ont eu des interruptions de carrière, de l’accès à une retraite anticipée. Le décret de 2012 aurait pu rompre avec cette logique, il ne l’a pas fait. Au final, la mesure qui aujourd’hui prévoit que tous les trimestres attribués au titre de la maternité seront « réputés cotisés  » n’est qu’un rattrapage de l’injustice de ce décret qui en a limité le nombre [8]. Depuis son instauration en 2003, le dispositif de retraite anticipée concerne essentiellement les hommes puisqu’ils représentent 79 % des bénéficiaires sur la période 2004-2010. « Les conditions d’octroi de la retraite anticipée excluent de fait la grande majorité des femmes [9]  ». Ce n’est pas le petit aménagement aujourd’hui proposé qui changera concrètement cette réalité. Si l’on veut vraiment ouvrir la possibilité de retraite anticipée aux femmes, pourquoi ne pas inclure parmi les trimestres « réputés cotisés  » les majorations de durée d’assurance (MDA) attribuées au titre des enfants qui en sont aujourd’hui exclues ?
La preuve par le coà »t
Le Premier ministre produit un tableau du financement de la réforme, où apparaissent les coà »ts des différentes mesures. Celles en faveur des jeunes, des femmes, des carrières heurtées et des petites pensions sont comptabilisées en un seul poste. Le tableau confirme, si l’on avait un doute, que les mesures en direction de ces populations relèvent surtout de l’affichage : leur coà »t reste nul jusqu’en 2030. Notons pourtant qu’il est prévu une amélioration du minimum contributif, dont le seuil est relevé de 1028 à 1120 euros, ce qui est une mesure bienvenue, favorable aux petites pensions, c’est-à -dire principalement aux femmes [10].
La pénibilité au féminin
La réforme prévoit une prise en compte de la pénibilité. Les dix facteurs retenus sont ceux qui ont été définis par les partenaires sociaux en 2008. Il y a un enjeu majeur à veiller à ce que ces facteurs n’oublient pas la pénibilité qui caractérise les métiers à dominance féminine, mais qui reste encore trop souvent ignorée. Les résultats de l’enquête SUMER (surveillance médicale des expositions aux risques professionnels) menée en 2003 puis en 2010 ont permis de lever le voile sur la pénibilité et les pathologies qui touchent plus particulièrement les femmes. En mars 2013, une étude du Conseil économique, social et environnemental « Femmes et précarité  » note que « les risques les plus souvent associés au travail dans les représentation sociales traditionnelles – efforts physiques intenses, expositions au bruit, aux intempéries, aux produits nocifs — concernent majoritairement les hommes. Les conditions de travail de nombreuses femmes sont autant marquées par la pénibilité physique ou mentale : postures contraignantes, gestes répétitifs, fond sonore permanent d’un niveau trop élevé, tâches morcelées, manque d’autonomie ou de latitude décisionnelle. Toutefois cette pénibilité reste largement occultée.  »
Des mesures en trompe-l’œil
En résumé, sur les trois mesures mises en avant pour les femmes, celle qui concerne la meilleure validation de trimestres pour les petits temps partiels ne va concerner que très peu de femmes ; surtout, rien n’est prévu pour diminuer la pénalisation de la pension résultant des faibles salaires liés aux emplois à temps partiel. La mesure qui permet de mieux prendre en compte la maternité dans le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue ne fait que corriger les dispositions injustes du décret pris en 2012 par ce même gouvernement. Enfin, la soi-disant refonte de la majoration de 10 % de la pension relève de l’entourloupe : rien de concret n’est décidé… si ce n’est la fiscalisation de cette majoration qui va amputer dès 2014 les revenus des retraités et retraitées de 600 millions d’euros !
La faiblesse, pour ne pas dire l’inexistence, de mesures réellement en faveur des femmes ajoute au caractère inéquitable de la réforme qui, si elle devait être mise en œuvre, pèserait une nouvelle fois sur les actifs et les retraité-es en épargnant les entreprises et les actionnaires.
Christiane Marty – membre d’Attac et de la Fondation Copernic
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