Refonder le salaire

Une motion d’Attac 53 pour défendre le salaire socialisé.
Publié le dimanche  4 juin 2006

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1. D’abord, faire tomber les mythes de l’économie libérale

Le « trou de la sécu » : Si le déficit de la branche « assurance maladie » du régime général est connu et périodiquement pointé du doigt (11 milliards d’euros en 2005 soit 9% des dépenses), celui de la « Sécu » dans son ensemble (régime général + régimes complémentaires + régimes spéciaux) est beaucoup plus difficile à évaluer. Quant à l’ensemble des systèmes de protection sociale, dont on a coutume de dire qu’il pèse 1,5 fois le budget de l’Etat, son résultat d’exploitation consolidé ressort globalement positif depuis des années. Le « trou de la sécu » est donc une chimère qu’on nous ressort périodiquement pour justifier de nouvelles contre réformes venant fragiliser la protection sociale.
L’autonomie de la monnaie : Le fétichisme de la monnaie conduit à nier qu’elle est une convention sociale attributive de valeur au travail pour la poser comme l’expression passive d’une valeur-déjà-là, le fameux gâteau qu’il faut avoir produit avant de le partager. Evidemment, il ne peut y avoir distribution de monnaie sans travail créateur de richesse (ou de nuisance). Mais l’augmentation du PIB correspond à l’augmentation de la valeur attribuée au travail, pas à celle de la quantité ou de la qualité des produits de ce travail. L’orthodoxie monétariste qui a cours depuis une vingtaine d’années vise à ne rendre légitime que la création monétaire qui attribue de la valeur au travail subordonné à l’accumulation du capital, et dénonce comme “ prélèvements obligatoires ” prétendument ponctionnés sur le produit de ce travail les impôts et cotisations sociales.
Le chômage des jeunes : le mensonge d’Etat sur le prétendu chômage d’un jeune sur quatre consiste à tirer d’un chiffre exact (le taux de chômage des 18-25 ans est de 25%) une proposition fausse (un jeune sur 4 est au chômage) : les actifs ne constituant que 30% de cette tranche d’age (les autres étant scolarisés ou étudiants), le chômage ne concerne que le quart de 30% des jeunes soit les 7 à 8% observés sur le reste de la population. Ce mensonge entretenu depuis longtemps est à corréler avec les « mesures jeunes » qui se sont succédées depuis 25 ans et ont conduit à une baisse moyenne de 31% du salaire des hommes de 25 ans en francs constants entre 1977 (début des “ plans en faveur de l’emploi des jeunes ”) et 1993. Et depuis la baisse a continué, accentuée par la multiplication récente des stages.

Le fardeau des retraites (« old dependency ratio » en anglais) : Alors que l’histoire du financement des retraites par cotisation sociale a montré qu’il est possible, avec un PIB qui double tous les 40 ans, de tripler la part de la richesse nationale consacrée à financer les retraités tout en doublant le niveau de vie des actifs, le ratio retraités/actifs occupés constate la part croissante prise par les retraités dans le travail total et légitime donc leur part croissante dans la richesse distribuée. Or, les tenants de la réaction monétariste veulent nous imposer avec une violence sociale singulière sa dénomination (et son interprétation) comme taux de dépendance : le fameux old-age dependency ratio de la lecture contre réformatrice des statistiques.
L’épargne et la congélation de monnaie : L’épargne financière, à ne pas confondre avec son contraire, le droit de propriété d’usage, ne peut pas être une réserve de valeur. La valeur n’existe pas en soi, c’est l’attribut, exprimé en monnaie, du travail. Du travail peut être considéré comme pérennisé dans des biens durables et voir alors sa valeur actualisée selon les conventions de l’amortissement, mais cela ne concerne qu’une petite minorité de la production annuelle. Ce n’est pas le cas pour les titres financiers, qui sont non pas de la valeur en réserve mais des droits sur la valeur. Lorsque le titulaire d’une part de portefeuille (dans un fonds commun de placements comme par exemple des fonds de pensions) liquide une partie de son épargne, il convertit des titres en monnaie en exerçant une violence sociale aussi énorme que légale : celle de réclamer une part dans la distribution de la monnaie au titre de sa propriété financière, alors même qu’il n’apporte strictement rien en contrepartie. Un « investisseur », comme on dit par révérence au parasitisme lorsqu’il se pare du droit de la propriété lucrative, n’apporte rien : rien sinon le droit de ponctionner une partie de la monnaie qui anticipe l’attribution de valeur au travail que les instruments de production qu’il achète grâce à cette monnaie vont lui permettre de mobiliser.

2. Remettre le salaire au centre de la distribution de richesse

Depuis 20 ans les salaires reculent dans un PBI qui augmente : En 1980, 71,8% du P.I.B. revenait aux travailleurs sous forme de salaires directs et de cotisations sociales et donc de prestations sociales. En 1995, nous n’en n’étions plus qu’à 60% tellement nous avons démissionné sur ce terrain. Comme le PIB est d’environ 1500 milliards d’Euros, les 10% qui manquent à l’appel représentent environ 150 Mds €, soit plus de 10 fois le « trou de la sécu », 9 fois le déficit de l’assurance chômage et 3 fois celui des retraites. Si, au lieu de gonfler la bulle financière, comme ils le font aujourd’hui, ils étaient du salaire, on ne se poserait pas toutes les questions qu’on se pose sur les économies en matière de santé, on pourrait payer les étudiants, conserver leur salaire direct aux chômeurs (il faut 30 Mds € de plus que ce qu’on dépense actuellement en politique de l’emploi), et on ne serait pas encore à 150 milliards !
Relancer les négociations collectives sur les salaires à la qualification. Aujourd’hui, la plupart des conventions collectives ne sont plus utilisées pour définir les niveaux de salaire à l’embauche, le patronat préférant individualiser la « négociation » salariale entre le salarié et son employeur. Si bien que dans de nombreuses conventions collectives les minimas conventionnels sont en dessous du SMIC.Ainsi dans un grand nombre d’entreprises, petites ou grandes, les salariés démarrent au SMIC quelque soit leur qualification.

Augmenter les salaires pour tous : Pour inverser la tendance observée depuis 20 ans, des salaires qui baissent en monnaie constante tandis que les profits et les revenus financiers s’envolent, alimentant la spéculation, il faut augmenter massivement la masse salariale distribuée par les entreprises publiques et privées, par l’Etat et les collectivités employeurs, et les prestations sociales.
Les salariés du secteur privé : Placer le SMIC à 1200 € nets par mois sans exonération de cotisations patronales,
Les fonctionnaires des services publics : de 3 à 5 % d’augmentation pour tous,

Les pensions des retraités : 80% du salaire net moyen des 10 meilleures années d’activité pour une retraite à taux plein dès 60 ans.

Les allocations des chômeurs : Maintien du dernier salaire mensuel net pendant 1 ans, 80 % la deuxième année, 70% la troisième.

Les allocations familiales : Aujourd’hui les allocations familiales sont réduites comme peau de chagrin. Or, il y a beaucoup à faire pour aider les familles : augmentation de la durée des congés de maternité et paternité, aide au soutien scolaire, etc.

Etendre et augmenter les bourses d’étude pour les jeunes de 18 à 25 ans (équivalent du SMIC payé par cotisations sociales, via la CAF ou les ASSEDIC) : Attribuons du salaire aux jeunes qui accèdent à un diplôme supérieur, une somme financée par les cotisations sociales, forfaitaire. Ensuite, dès que le jeune entre dans le monde du travail contraint, il y a différenciation des salaires en fonction de la qualification. On entre donc dans la carrière salariale à 18 ans avec un salaire forfaitaire que l’on conserve pendant ses études et ensuite, au premier travail contraint venu, on se voit attribuer une qualification.

3. Redistribuer la richesse par le salaire socialisé

Les cotisations sociales comme fondement de la protection sociale (contre l’allocation tutélaire publique et l’épargne d’activité) : Là où on attend le salaire c’est sur le travail contraint, qu’il soit la rémunération du travail contraint seul. Or le salaire reconnaît aussi le travail libre et c’est une nouveauté, une grande conquête sociale des années 1950 à 1970. Quand on parle des trente glorieuses comme d’une espèce de merveilleuse parenthèse historique sur laquelle il faudrait tirer un trait, on fait mourir une seconde fois tous ceux qui à l’époque ont laissé leur peau dans la construction des droits du salaire que nous bradons actuellement. La cotisation sociale assise sur les salaires exprime très simplement que nous ne pouvons jamais faire que répartir, chaque année, la valeur créée chaque année. Lorsqu’on finance des retraites par du salaire, ce sont les cotisations de l’année qui financent les retraites de l’année et c’est tout à fait normal. La monnaie étant volatile c’est forcément la monnaie créée par le travail vivant de l’année qui peut financer les retraites de l’année. Le financement de la protection sociale par cotisations patronales a montré pendant près de 40 ans l’inutilité de l’épargne lucrative.

Supprimer toutes les exonérations patronales (depuis le temps partiel de Robien jusqu’aux exonérations liées aux 35 heures en passant par toutes les formes d’emploi aidé, près de la moitié des salaires sont en partie financés par l’Etat). Depuis 25 ans, l’Etat exonère toujours plus les entreprises de cotisations patronales. Ainsi, ce sont chaque année près de 21 milliards d’euros qui sont financés non plus par les employeurs mais par les salariés en tant que contribuables. Si l’Etat intervient massivement dans le financement et la définition des ressources de la moitié la moins payée de la population active, ce n’est pas comme Etat social garant du salaire socialisé ou du service public, c’est comme Etat providence des travailleurs niés comme salariés et comme citoyens : « victimes de la mondialisation », « faiblement employables », « sans qualification » ou « sans expérience », « sans ressources suffisantes ». Ils relèvent de la solidarité des riches vers des pauvres ciblés selon leur statut familial ou leur âge, leur secteur géographique ou professionnel. Loin d’être en crise, l’Etat providence, jusqu’ici absent en Europe, est en cours de construction, pour assumer soit un socle de besoins soit des catégories de populations cibles relevant de sa fonction de solidarité tutélaire.

Augmenter les cotisations patronales : Se battre pour le salaire aujourd’hui, ce n’est pas une bagarre corporatiste sur le maintien des avantages acquis comme on veut nous le faire croire, c’est se battre pour que les gains de productivité du travail qui sont une bonne nouvelle ne se transforment pas en cauchemar. Or quand on sait que notre productivité est l’une des meilleurs du monde et qu’elle augmente de 1 à 2% par an, il est normal que les richesses ainsi produites reviennent aux salariés. Il n’est pas choquant que, compte tenu de l’augmentation de la durée de vie et de la réduction du temps de travail subordonné (études plus longues, départ à la retraite plus rapide, réduction de la durée de travail hebdomadaire, périodes de chômage, de formation professionnelle et de reconversion, etc.) la part du salaire socialisé (cotisations sociales) soient rapidement supérieure au salaire direct. Aujourd’hui, le salaire direct (le net) représente entre 55 et 60% du salaire total, demain il pourra n’en représenter que 50% voire 45%. Demain, financer les retraites et plus de protection sociale par une hausse des cotisations patronales supposera que plus de la moitié du salaire finance non pas le travail subordonné mais le travail libre.

Simplifier l’expression du salaire : le « salaire brut » qui ajoute au salaire direct la seule part des cotisations sociales dite « salarié » n’est pas une catégorie pertinente et il présente le danger que la négociation collective ne porte pas sur la part dite « patronale » de ces cotisations. Il serait préférable que l’on supprime la notion de « salaire brut » et qu’on l’on promeuve celle du « salaire total », addition du « salaire direct » et des « cotisations sociales ». La négociation collective porterait alors sur le montant du salaire total et sur son partage entre salaire direct et cotisations sociales.

Fusionner les régimes de protection sociale du secteur privé, de l’Etat et des grandes entreprises publiques (EDF, SNCF, etc.) : Dans une perspective de mutualisation la plus large du salaire socialisé, et d’une gestion démocratique de son calcul et de ses attributions, la multiplicité des régimes spéciaux (Fonctions publiques, entreprises publiques, secteur privé, agriculture, etc.) apparaît comme un facteur de conflits inter-sectoriels plutôt que comme un élément de cohésion du salariat.

4. Démocratiser les institutions de délibération sur les salaires

Relancer les négociations de conventions collectives dans des Etats généraux des salaires et de l’emploi : Après plus de 20 ans de « politiques de l’emploi », visant une mise au travail contraint du plus grand nombre (jeunes, chômeurs, « exclus », « non insérés », « seniors », etc.) au prix d’un renoncement toujours plus fort du côté du salaire et des droits afférents, le temps est venu d’une vaste mobilisation sur les salaires à la qualification. Le droit au salaire doit être le prolongement naturel du droit du travail. Ainsi, la notion de « sécurité sociale professionnelle » qui revendique au delà du salaire un droit à carrière, ne peut s’envisager sans droit au salaire préalable.

Augmenter le rôle des syndicats dans la gestion des caisses de sécurité sociale : Avec le paritarisme, la gestion des caisses de sécurité sociale est passée de la responsabilité des syndicats de salariés, à celle conjointe des syndicats et du patronat, avant de devenir une responsabilité tripartite incluant l’Etat et son rôle tutélaire. Refonder le salaire, c’est redonner la priorité aux salariés élus dans la gestion de leur bien collectif.
Favoriser la syndicalisation des salariés : Redonner le pouvoir aux salariés pour délibérer collectivement et démocratiquement sur la gestion de leur bien commun passe par une amélioration de leur représentation syndicale. Or, celle-ci est malheureusement très faible (environ 8%), en particulier dans le secteur privé et tout particulièrement dans les petites et moyennes entreprises. Une vaste réflexion sur l’augmentation de la syndicalisation des salariés s’impose. Sans tabou, notamment dans les cinq grandes centrales syndicales qui siègent dans les négociations interprofessionnelles et la Convention nationale des conventions collectives (CNCL), plusieurs pistes peuvent être explorées : la suppression de la capacité de l’Etat d’étendre les accords collectifs à tous les salariés de toutes les entreprises des branches concernées sans distinction des entreprises et des salariés affiliés aux organisations signataires, la révision de la possibilité de négocier des accords collectifs entres organisations minoritaires (règle des 3 sur 5), etc.

Loin de cantonner les salariés dans une relation de subordination à la valorisation de capitaux, le salariat, tel qu’il a été conquis en France et dans la plupart des pays d’Europe continentale dans les années 1950-1970, les en a libérés. En effet, grâce au salaire socialisé (qui n’est en rien un salaire différé), les salariés de l’Europe continentale n’acceptent de contribuer à la création de richesses monnayables qu’à la condition que leur salaire finance aussi leur temps libéré : loisirs, mais aussi vie familiale, retraite, chômage, maladie.

Assumer cette conquête du salariat, c’est envisager de dépasser notre destinée de force de travail au service des détenteurs de capitaux. Il faut à présent reconnaître notre histoire et passer à l’étape suivante : Financer plus de temps libre par le salaire ! C’est un enjeu majeur pour une autre Europe.

Attac 53 (Mayenne)

NB : cette motion est largement inspirée par les travaux de Bernard Friot, professeur de sociologie à l’Université Paris X Nanterre, spécialiste de la protection sociale, qui a été invité par 22 comités locaux d’Attac pour des conférences : Ain, Bas Rhin, Charente Maritime, Deux Sèvres, Drome, Finistère, Gironde, Jura, Loiret, Loire Atlantique, Manche, Mayenne, Meurthe et Moselle, Morbihan, Moselle, Nord, Paris, Pyrénées Orientales, Rhône, Seine Saint-Denis, Somme, Vosges.


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