Quelle situation après les élections présidentielles ?

Pierre Khalfa, Union syndicale Solidaires
Publié le jeudi  10 mai 2007

par  Pierre Khalfa
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Le résultat des élections présidentielles a été sans appel. Ségolène Royal fait même moins bien en pourcentage que Lionel Jospin en 1995 alors même que la gauche sortait laminée de quatorze ans de mitterandisme. Quel est le sens de cette élection ? S’agit-il d’un basculement à droite de la société et d’une victoire des idées néolibérales et sécuritaires portées par Nicolas Sarkozy ? S’agit-il au contraire simplement d’un effet de conjoncture ? Au-delà, quelles seront les conséquences de cette élection ?

Revenir sur l’analyse de la période

Le milieu des années 1990 voit une rupture dans les rapports de force mondiaux avec l’apparition du mouvement altermondialiste sur la scène politique internationale lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Seattle à la fin de l’année 1999. Cette apparition n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel serein et depuis le milieu des années 1990, les signes n’avaient pas manqué qui indiquaient un véritable tournant dans les mobilisations contre le néolibéralisme : 1994 au Chiapas, décembre 1995 en France, manifestation contre la dette à Birmingham en 1998, manifestations européennes contre le chômage, victoire contre l’AMI en 1998, etc.

Ce tournant s’accompagne et s’explique par une remise en cause profonde des postulats du néolibéralisme. Alors que dans la période antérieure, la concurrence, les privatisations, etc. apparaissaient aux yeux de la grande masse de la population comme des solutions pour résoudre les problèmes de l’humanité, ces idées sont fortement contestées et le néolibéralisme est mis idéologiquement sur la défensive. Sa force propulsive idéologique est en partie cassée. La phase idéologique ouverte par les victoires de Thatcher et Reagan s’est en partie refermée.

Ce constat ne signifie pas que les rapports de forces se soient inversés. L’offensive néolibérale continue et même s’aggrave, mais elle le fait dans une situation où la légitimité des mesures proposées est faible voire inexistante, d’où la montée des résistances, et ce dans la plupart des pays. Pour ne prendre que le cas de la France qui nous intéresse ici, cette situation explique le mouvement des retraites de 2003, celui sur le CPE de 2006 ou la victoire du TCE. Ces mouvements sont largement soutenus par les opinions publiques, ce qui certes n’est pas une garantie de victoire, mais est la preuve du faible impact des idées néolibérales dans la société.

Trois exemples parmi d’autres illustrent cette situation : en 2003, après plusieurs semaines de mobilisation et après l’approbation de la CFDT du plan Fillon, 66 % des Français approuvaient encore la poursuite du mouvement ; plus récemment il y a quelques mois, un sondage indiquait qu’une forte majorité de français était pour des hausses d’impôts, alors même qu’une campagne contre « la hausse des prélèvements obligatoires » se déroulait dans les médias ; de même, si le non au TCE a recoupé des motivations différentes, il est indéniable que, contrairement à ce qui s’était passé au moment de Maastricht, le poids dans la campagne des idées de la gauche anti-libérale a été déterminant.

Ce refus du néolibéralisme dans la société n’implique pas que les mouvements sociaux soient en capacité d’ouvrir de perspectives nouvelles ou de peser durablement sur les politiques publiques. Essentiellement défensifs, ils permettent quelquefois de mettre des coups d’arrêts, alors même que la hauteur des affrontements est considérable. Toute défaite, comme par exemple celle sur les retraites, a évidemment des conséquences sur les mobilisations futures et sur la conscience qu’il est possible, ou pas, de résister. De ce point de vue, au contraire, la victoire du CPE, même à l’arraché, conforte l’idée qu’il est possible de gagner. Cette capacité de résistance a empêché, malgré des reculs indéniables, que les politiques néolibérales puissent totalement s’imposer et produire pleinement leurs effets. Ainsi par exemple, si la précarité a indéniablement augmenté depuis une trentaine d’années, l’emploi stable reste encore la forme d’emploi massivement dominante, d’où d’ailleurs les enjeux sur la question du contrat de travail. De même, si les inégalités en matière de santé s’aggravent, la logique solidaire de la sécurité sociale est loin d’avoir été détruite.

Cependant, dans une société qui se délite et dans laquelle le futur apparaît de plus en plus incertain, les angoisses du lendemain, la peur de l’avenir nourrissent l’essor de la xénophobie et les demandes sécuritaires dans une partie de la population victime directe des politiques néolibérales. En l’absence de réponse anti-libérale alternative crédible, se développe donc une autre réponse centrée sur la demande d’ordre, le rejet des plus faibles et le repli identitaire, basée sur la recherche de bouc-émissaires.

L’existence d’un mouvement tel que RESF a permis, au-delà même des objectifs concrets qu’il se fixait, de mettre un contre-feu au développement de pratiques gouvernementales rappelant les heures les plus sombres de notre histoire. Cela n’a cependant pas été suffisant pour marginaliser ce type d’idéologie qui a contaminé une partie non négligeable de la société.

Le sarkozisme, nouveau bonapartisme ?

La présidentielle s’est déroulée dans une situation assez contradictoire : crise profonde des idées néolibérales, mais persistance forte d’une demande d’ordre, fortes capacités de résistance des salariés, mais incapacité d’imposer de nouvelles orientations. Mais dans cette situation contradictoire dominait cependant une idée centrale : « ça ne peut plus continuer comme cela ». Cette idée était présente, pour des raisons différentes, dans tous les secteurs de la société : la classe dominante voulait en finir avec les « rigidités » de la société française, les salariés voulaient un changement de leur situation, les personnes âgées la garantie pour leurs retraites et de l’ordre dans la rue et la majorité de la population être protégée.

A tous, Nicolas Sarkozy a réussi à apparaître comme apportant des réponses dans un discours global. Il a réussi à être porteur de la « rupture » alors même qu’il était une pièce maîtresse du gouvernement précédent. Il est apparu comme un candidat anti-système alors même qu’il en est le pur produit. Il est apparu voulant défendre « la valeur travail » alors même qu’il défend les intérêts directs des plus grands capitalistes français. Il a critiqué la construction européenne actuelle alors qu’il en a été un des promoteurs les plus ardents… Une étude d’opinion publiée par Le Monde indiquait d’ailleurs que 63 % des sondés pensaient que l’élection de Sarkozy ferait changer les choses alors que 59 % indiquaient que l’élection de Royal ne changerait rien à la situation actuelle.

La force de Sarkozy a été d’être capable de réunir dans son discours des aspirations diverses et partiellement contradictoires. Il est significatif que la tonalité ultra-libérale de ses premiers discours a été gommée au profit de déclarations couvrant un large spectre idéologique. Il a réussi ainsi dans le même mouvement à siphonner les voix du FN, axant une partie importante de son discours sur l’identité nationale et l’immigration, tout en faisant des références constantes à Jaures et Blum et en se présentant lui-même comme un fils d’immigré. Il a réussi ainsi à capter une partie non négligeable du vote de classes populaires tout en s’assurant du soutien des classes dominantes. Son premier discours, juste après l’annonce des résultats du second tour, est, de ce point de vue, un petit chef-d’œuvre du genre.

Sarkozy a endossé les habits du « sauveur », celui certes des classes dominantes, qui malgré leurs efforts n’ont pas réussi à imposer totalement la purge néolibérale, et qui lui ont donné mandat pour la mener à bien, mais aussi celui d’une partie des classes populaires sensible à une rhétorique marquée par l’ordre et la sécurité.

Une gauche éclatée ou à la remorque

Si le discours de Sarkozy a pu avoir un tel impact, c’est avant tout à l’anomie du Parti socialiste et à l’éclatement de la gauche anti-libérale qu’il le doit. Lors de l’élection présidentielle de 2002, les candidats qui critiquaient le gouvernement Jospin sur sa gauche totalisaient plus de 24 % des voix. C’est dire les potentialités en germe d’une candidature anti-libérale et écologique. En 2007 la gauche critique et écologique a fait moins de 11 %. Alors que la dynamique unitaire du référendum sur le TCE pouvait laisser penser qu’une candidature unique de la gauche anti-libérale était possible, son éclatement a eu des effets en chaîne.

Il n’a pas permis l’apparition d’une force politique anti-libérale crédible laissant le vote protestataire de gauche se transformer en vote utile dès le premier tour ou même se reporter sur Bayrou. Ce dernier a fait une campagne antisystème et protestataire et, de plus, est apparu à un moment donné comme pouvant battre Sarkozy, ce qui lui a permis d’atteindre 18 % des voix alors même que le centre n’a jamais dépassé 8 % depuis 30 ans. Seule l’existence d’une alternative anti-libérale crédible aurait pu, par ses propositions et son discours, faire contrepoids à celui de Sarkozy et offrir un choix réellement différent.

Mais cet éclatement de la gauche antilibérale a eu aussi des conséquences sur le second tour. En levant l’hypothèque que la gauche anti-libérale faisait peser sur le PS, il a eu pour conséquence de faire tomber le PS là où il penchait depuis longtemps, c’est-à-dire vers le centre, officiellement par réalisme électoral pour essayer de récupérer les voix qui s’étaient portées vers Bayrou, en fait, osant enfin paraître ce qu’il est réellement, un parti de centre-gauche.

Ainsi, que ce soit sur l’immigration et l’identité nationale ou sur les questions économiques et sociales, les propositions de la candidate du PS apparaissaient, soit vides de contenu, soit à la remorque de celles de Nicolas Sarkozy reprenant le même vocabulaire sur « la valeur travail » par exemple et proposant de mettre un drapeau tricolore aux balcons le 14 juillet. Le débat du second tour entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy allait clairement confirmer ce fait. On y a vu Ségolène Royal obligée de s’aligner sur Sarkozy à propos de la régularisation au cas par cas des sans-papiers, dire qu’elle était pour une augmentation de la durée de cotisation et une « remise à plat » des régimes spéciaux, ne pas défendre les 35 heures…

Ainsi l’éclatement de la gauche antilibérale a non seulement été néfaste pour elle-même, a non seulement empêché qu’une alternative crédible soit enfin proposée à nos concitoyens, mais elle a favorisé le glissement vers le centre du PS, brouillant les pistes, empêchant ainsi la création d’une dynamique à gauche et permettant l’élection de Sarkozy. Une occasion a été manquée, dont d’ailleurs on voit mal ce qui pourrait la faire resurgir à court et moyen terme, et dont nous n’avons fini de payer le prix politique.

Et maintenant ?

Elu avec une participation électorale exceptionnelle et un score sans appel, Nicolas Sarkozy va jouir d’une légitimité incontestable, ce d’autant plus que la mise en scène qui va entourer la mise en place de son gouvernement sera probablement impeccable (parité, « ouverture », gouvernement très resserré). Il sera donc tenté d’appliquer au plus vite - s’il remporte les législatives, ce qui est le plus probable -, les mesures risquant de susciter des contestations sociales, comme, par exemple, le contrat unique ou le service minimum.

Cependant, à court terme, les paramètres antérieurs de la situation ne vont pas disparaître comme enchantement. Cette élection n’a pas converti brutalement les Français au néolibéralisme et ils n’ont pas voté pour cela. La mise en œuvre brutale d’une telle politique provoquera inévitablement des remous importants. La question qui se posera alors est de savoir si les mouvements sociaux qui existeront auront, comme par le passé, le soutien de l’opinion publique ou si celle-ci considèrera qu’après tout il faut laisser sa chance au nouveau gouvernement.

Autre point d’interrogation, quelle sera la stratégie précise de Sarkozy ? Mettra-t-il en œuvre une stratégie visant à provoquer un affrontement central décisif pour battre le mouvement social comme l’avait réussi Thatcher avec la grève des mineurs de 1985 et comme Juppé l’avait tenté sans succès en 1995, ou se contentera-t-il plus prosaïquement de marquer des points limités sur la simple base du rapport de forces électoral ? La réponse à cette question tient en partie aux réactions qui vont avoir lieu après l’élection. Celle-ci provoquera-t-elle un abattement qui n’est d’ailleurs pas contradictoire avec une radicalisation minoritaire d’un certain nombre de secteurs ou, au contraire, sera-t-elle l’occasion de créer une dynamique de résistance sociale capable de s’appuyer sur une majorité de l’opinion publique ?

Dans cette situation incertaine, deux points paraissent particulièrement importants. Le premier a trait à la bataille d’idées. Ce sera un des terrains sur lequel se construiront les rapports de forces globaux. Cette bataille ne doit pas seulement porter sur les questions économiques et sociales, terrain sur lequel nous sommes relativement à l’aise, mais surtout sur les questions qui ont fait la force de la campagne de Sarkozy, l’immigration, la sécurité… Le combat frontal contre les idées qu’il a défendues est une des conditions des victoires futures.

Le second point porte sur la construction des ripostes nécessaires. Il faut d’ores et déjà s’atteler à la constitution d’un cadre unitaire de résistance et de vigilance. La constitution d’un tel cadre unitaire serait à même de créer un climat différent, de recréer une confiance dans les capacités de résistance, ce d’autant plus que, dans la période post-électorale, le rôle des organisations du mouvement social va redevenir prééminent, les partis de gauche étant par ailleurs occupés à une introspection interne suite à la défaite.

Pierre Khalfa, mai 2007


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