Comment vivre ensemble ? La plus vieille question politique, Marivaux la transporte dans des îles où, ravivée, elle nous attend. Et c’est pourquoi le spectacle sera comme une croisière…
Trois fois Marivaux a couplé le thème de l’utopie et celui de l’île. Et trois fois un groupe d’exilés ou de naufragés, confrontés à une situation nouvelle et aux mœurs des autochtones, implose à ce contact.
Dans L’Île des esclaves (1725), gouvernée par d’anciens esclaves révoltés, ce sont les rapports maître/valet du groupe de naufragés qui sont bouleversés.
Dans L’Île de la Raison (1727) les naufragés doivent faire l’apprentissage de la raison auprès d’un peuple dont ils doivent aussi imiter les coutumes. Devenus tout-petits à l’issue du naufrage, ils grandissent au fur et à mesure qu’ils deviennent raisonnables.
Dans La Colonie enfin (1750), un peuple d’émigrants qui cherche à fonder l’existence commune sur des lois nouvelles bute sur la question de la domination, les femmes refusant de se plier aux hommes, ceci dans le cadre préventif d’une guerre à mener contre des « sauvages » qui n’apparaissent pas.
Près de trente ans avant le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau, ce sont les rapports de classe et les rapports humains en général que Marivaux aborde dans ces trois pièces qu’il semble d’autant plus logique de rassembler et de faire jouer ensemble qu’elles reposent sur un même dispositif.
Où le plateau de théâtre se fait métaphore de l’île qui est elle-même métaphore de la société. L’au-delà du lieu utopique sert de miroir à la société réelle.
Le stratagème et les règles du jeu sont bien du XVIIIe siècle, et s’ils en portent le charme, la légèreté, ils ouvrent pourtant, avec malice et franchise, sur des écarts et des enjeux qui sont toujours, faut-il seulement le souligner, d’actualité.
Les maîtres et les valets. Les hommes et les femmes. Les « civilisés » et les « sauvages ». Qui irait prétendre que ces couples ne sont plus des couples d’opposition ?
Le spectacle, qui utilisera le potentiel imaginaire de l’île et des îles – dans toute son étendue, de la mythique Atlantide à l’imagerie des agences de voyages – proposera aux spectateurs une sorte de croisière qui les conduira d’une tentative de refonte à une autre. Mine de rien, ce sont toutes les issues possibles de la rêverie politique qui s’entrouvrent, entre la plénitude de vies rêvées comme une sorte de grand farniente jovial et l’effroi de séances de rééducation de sinistre mémoire.
Gilberte Tsaï, directrice du Nouveau Théâtre de Montreuil, a scénarisé et mis en scène un spectacle croisant trois pièces de Marivaux qui reposent sur le même dispositif et dans lesquelles un groupe d’éxilés ou de naufragés se retrouve sur une île.
Pour sa dernière création au CDN (Centre dramatique national), Gilberte Tsaï a choisi de travailler toute l’année avec une troupe de jeunes comédiens issus de l’École supérieure de Limoges. Le Jeu de l’île est une réflexion sur l’utopie à travers un montage de trois comédies politiques de Marivaux : L’ile des esclaves explore le rapport maître-valet, L’ile de la raison oppose des Européens à des peuplades « sauvages », La Colonie pose la question de la révolte des femmes. Ce sont les rapports de classe et les rapports humains en général que Marivaux aborde dans ces trois pièces. Elles sont réunies ici en un seul parcours théâtral - rêve fait par un philosophe indigent lui aussi débarqué de l’œuvre de Marivaux : le plateau de théâtre, espace de son rêve, devient aussi aire de jeu où l’utopie tantôt déployée tantôt contrariée devient comme le miroir déformant de nos songes politiques.
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