Le gouvernement d’Evo Morales et les mouvements sociaux indigènes de Bolivie ont remporté une victoire historique avec l’adoption de la réforme agraire [votée et promulguée le 29 novembre]. La nouvelle loi prévoit l’“expropriation des terres†qui “ne servent pas une fonction socioéconomique juste†. Selon Miguel Urisote, le directeur de la Fondation foncière, un centre de recherche indépendant de La Paz, “elle vise les latifundias, les grandes propriétés où de nombreux Indiens travaillent dans des conditions proches de l’esclavage†.
Morales avait soumis ce projet de loi au Parlement bolivien il y a un peu plus de six mois. La Chambre des députés, où le parti du président, le Mouvement vers le socialisme (Movimiento al socialismo, MAS) est majoritaire, avait voté le texte, mais le Sénat, où l’opposition de droite détient une majorité de une voix, avait bloqué le processus. Des milliers d’Indiens venus des quatre coins du pays ont alors convergé vers la capitale en signe de protestation. “Nous en avons assez de travailler pour les familles riches†, expliquait Delia Duran, partie à pied vingt jours auparavant du département de Santa Cruz, dans l’Est, le fief des grands propriétaires terriens. “Quand pourrons-nous travailler pour notre compte ? Nous voulons notre chez-nous, nous n’avons rien, nous vivons dans des cabanes faites de paille et de plastique.â€
Effrayés par cette mobilisation massive, les partis de droite avaient abandonné le Sénat à la mi-novembre, le privant du quorum nécessaire à son fonctionnement. Soutenu par les manifestants, le président Morales avait alors affirmé “si la Chambre haute ne veut pas changer la loi, le peuple se lèvera pour la changer de force†et menacé de prendre un décret-loi l’autorisant à procéder aux expropriations.
Il n’a pas eu besoin de recourir à une mesure aussi extrême, et les sénateurs absents se sont fait couper l’herbe sous le pied. En vertu de la loi bolivienne, chaque sénateur a un remplaçant habilité à prendre part au vote si le titulaire est absent ou dans l’incapacité d’assister aux sessions parlementaires. Or trois remplaçants ont changé de camp. Ils se sont rendus au Sénat, ce qui a permis d’atteindre le quorum, et ont voté la réforme agraire avec les sénateurs du MAS.
Un autre texte extrêmement important sur les compagnies pétrolières présentes en Bolivie [contraignant les entreprises étrangères, dans le cadre de la nationalisation des hydrocarbures, à renégocier leurs contrats à la baisse] a également pu passer. Le Sénat a aussi approuvé quarante-quatre nouveaux contrats avec les pétroliers, qui accordent à l’Etat une part plus importante des recettes pétrolières et reconnaissent le contrôle du pays sur ses ressources en gaz naturel. L’opposition s’est indignée et a crié à la fraude, prétendant que le gouvernement avait soudoyé les sénateurs remplaçants. Mais, selon Teresa Morales, du Centre d’études stratégiques de La Paz, ces remplaçants “sont originaires du Nord, la région la plus pauvre du pays. Deux d’entre eux ont même participé aux mouvements indigènes. Ils ont cédé à la pression de la base.â€
Des opposants ont entamé une grève de la faim
Un autre combat, tout aussi important que la réforme agraire, porte sur l’Assemblée constituante élue en début d’année et chargée de rédiger une nouvelle loi fondamentale et de “refondre†les institutions nationales. Les délégués du Mouvement vers le socialisme représentent 54 % des voix dans cette Assemblée, et, avec les partis alliés et les mouvements sociaux, le mouvement en contrôle 60 %. Réunie depuis juillet, l’Assemblée n’a rien fait parce que les partis de droite clament qu’il faut une majorité des deux tiers pour approuver le moindre article. Le MAS, lui, soutient qu’une majorité simple est suffisante et que seule la version finale de la nouvelle Constitution doit être votée à la majorité des deux tiers. Le texte sera alors soumis au vote populaire lors d’un référendum national, où une majorité simple suffit.
Fin novembre, le MAS et ses alliés ont décidé d’approuver différentes parties de la Constitution à la majorité simple. L’opposition a immédiatement entrepris de bloquer les séances, certains de ses délégués entamant une grève de la faim [en tout, quatre gouverneurs soutenus par près de 800 personnes suivent cette grève de la faim], affirmant qu’ils ne quitteraient pas l’édifice où se tient l’Assemblée. Dans quatre des neuf départements [Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando, les régions les plus riches de la Bolivie], elle a déjà pris le contrôle de comités civiques locaux, appelant même à la sécession vis-à -vis de l’Etat bolivien si l’Assemblée applique la règle de la majorité simple [les autorités de ces quatre régions ont fondé un Conseil pour l’autonomie régionale, dont la première assemblée est prévue le 15 décembre]. Morales a répliqué en déclarant qu’une autre marche semblable à celle pour la réforme agraire serait peut-être nécessaire pour “mettre de l’ordre dans l’Assemblée constituante†.
Pendant ce temps, l’éclatement de l’opposition se poursuit. Plusieurs délégués de droite ont annoncé leur participation aux séances et leur coopération avec le MAS et les mouvements sociaux. Selon M. Urisote, “les grands propriétaires terriens et les intérêts agroalimentaires de Santa Cruz voient le pouvoir économique et politique leur échapper. Leurs politiques anti-indiennes et racistes sont rejetées même par certains de leurs alliés traditionnels. La réforme agraire et l’Assemblée constituante ouvrent la voie à une nouvelle Bolivie.â€
Roger Burbach*
América Latina en Movimiento
* Directeur du Center for the Study of the Americas (CENSA) Ã Berkeley, Californie.
(América Latina en Movimiento, Quito)
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