J’ai un scoop pour vous : José Bové a possédé huit automobiles depuis
1976. Il a d’abord eu une 2 CV, puis une Opel, puis une Volvo, puis une
304, etc. Ces huit voitures ont aujourd’hui disparu, et l’une d’elles fera
l’objet d’études archéologiques dans quelques siècles puisqu’elle a
servi à remblayer le chemin qui mène à la ferme du paysan du Larzac,
porte-parole de Via Campesina et candidat à l’élection présidentielle
française.
Ce scoop a été révélé le mercredi 7 mars 2007 dans l’enceinte du
tribunal de grande instance de Carcassonne (Aude), où José Bové
comparaissait avec quatre autres militants pour entrave à la liberté du
travail, dégradation de la propriété d’autrui et autres graves délits.
Plaignant : Asgrow, c’est-Ã -dire l’entreprise multinationale d’origine
US Monsanto, grand empoisonneur de l’humanité, depuis l’Agent Orange
répandu sur le Vietnam jusqu’aux OGM (Organismes génétiquement manipulés)
plantés aux quatre coins de la planète et de la France, en passant par
divers pesticides, qui sont meurtriers et pas seulement pour les
parasites (ces mêmes pesticides ont été avalés par une grande partie des
100 000 paysans indiens qui se sont suicidés de 1997 à 2003, poussés à la
ruine après avoir planté et récolté du coton transgénique… Monsanto).
Le 13 avril 2006, les prévenus, accompagnés de 150 militants de la
Confédération paysanne, de Greenpeace et des Faucheurs volontaires,
avaient mené une occupation symbolique - sans bris de clôture - de
l’usine, située dans le village de Trèbes, à quelques kilomètres de
Carcassonne, pour empêcher la distribution imminente de nouveaux
produits OGM en vue des semis de printemps. L’occupation n’avait pas
duré très longtemps, et d’importantes forces de gendarmerie avaient
délogé manu militari les occupants, qui pratiquèrent des formes de
résistance non-violente. Plaqué au sol, menotté dans le dos par une
gendarmette blonde tandis qu’un collègue braquait un pistolet sur sa
tempe, Bové fut emmené toues sirènes hurlantes, à une vitesse d’enfer
vers la gendarmerie de Lunel, près de Montpellier, dans le département
voisin de l’Hérault. Pourquoi changer de département ? Les gendarmes
craignaient-ils que les placides Audois, se souvenant des hauts faits
d’armes de leurs ancêtres vignerons de la révolte de 1907, viennent
incendier la gendarmerie de Trèbes ou de Carcassonne pour libérer le
Marcelin Albert du XXIe siècle [1] ? Mystère. En tout cas, les choses
ont ensuite suivi leur cours.
Résultat : les militants se retrouvent devant la justice le 7 mars 2007.
Mais pas pour longtemps. Et les témoins qui sont venus leur apporter
leur soutien en sont pour leurs frais : ainsi la lumineuse Aminata
Traoré, ancienne ministre malienne de la Culture et du Tourisme et
militante de la cause africaine, repartira dare-dare reprendre les
avions qui la ramèneront à Bamako, après avoir témoigné au meeting qui a
suivi le procès avorté.
Un étonnant vice de forme
Le principal avocat de la défense, François Roux, un vrai Huguenot,
défenseur aussi bien des paysans du Larzac que de Zakarias Moussaoui, en
passant par les Polynésiens et les Kanaks, a fait littéralement sauter
le procès en soulevant un vice de forme. Le tribunal a donc décidé
d’examiner ce vice de procédure et de rendre son verdict sur ce point le
21 mars. On saura ce jour-là si le procès est définitivement abandonné
ou s’il va enfin avoir lieu. Dans le premier cas, les prévenus se
retourneront contre ceux qui les ont poursuivis pour les attaquer en
justice ainsi que la gendarmerie, dans le second cas, ils feront appel
de la décision. C’est que le vice de procédure invoqué par la défense des
anti-OGM n’est pas banal et je m’en vais vous le conter.
Il est assez rare et peut-être même unique et méritera de figurer
à tout jamais dans les annales judiciaires pour témoigner de l’état de
la France au début du XXIe siècle.
Ce 13 avril 2006, une fuite dans L’Indépendant, le quotidien de
Perpignan, avait annoncé la venue de José Bové pour la manifestation
contre Monsanto. Le militant s’était donc rendu directement à l’usine,
évitant d’aller au rendez-vous fixé sur un parking. Mais voilà que dans
le dossier d’inculpation, François Roux trouve un procès-verbal, signé
d’un gendarme de Trèbes, qui fait état de faits pour le moins curieux :
y est notée la présence sur le parking du rendez-vous « clandestin  » de
30 à 40 véhicules, dont huit (!) appartenant à José Bové. François Roux montre le PV
à l’intéressé. Celui-ci examine le document, fronce les sourcils et
s’exclame : « Mais c’est la liste des bagnoles que j’ai eues depuis 1976
! Elles n’existent plus ! Et en plus, je n’étais même pas sur le parking !  »
Le pot aux roses est rapidement découvert : le cybergendarme, dans son
zèle, n’a rien trouvé de plus intelligent à faire que d’aller récupérer
dans son ordinateur la liste de toutes les voitures possédées depuis trente
ans par Bové et a fait un copier-coller dans son PV, en plaçant les
numéros d’immatriculation et les modèles des véhicules dans l’ordre
chronologique, sans doute celui du fichier informatisé des cartes
grises. C’est ce qu’on appelle un faux en écriture publique. Pire : le
gendarme et ses collègues ont convoqué plusieurs personnes en leur
disant : « Le 13 avril 2006, vous avez participé à cette manifestation
où vous vous êtes rendues à bord de votre voiture immatriculée tant et
tant.  » Ainsi Madeleine, une vieille « citoyenne du monde  », militante
réputée de toutes les causes. Dans un premier temps, Madeleine a répondu
aux gendarmes : « Si vous le dites, c’est que ça doit être vrai.  » Puis
elle a réfléchi : « Attendez, vous dites le 13 avril. Mais ce jour-là ,
j’étais à une manifestation antinucléaire à Cherbourg et donc, à l’heure
de la manif à Trèbes, moi, j’étais dans le train vers Cherbourg !  »
Madeleine retourne chez elle, fouille ses affaires, retrouve son billet
de train et va le brandir triomphalement sous le nez des pandores de
Trèbes. Lesquels jugent plus prudent d’abandonner les poursuites contre
elle. Idem pour d’autres militants.
On découvre alors une deuxième tentative, tout aussi grave, de faux en
écriture publique : les gendarmes de Trèbes ont tout simplement utilisé
une liste de numéros d’immatriculation de voitures de militants ayant
participé à une manifestation précédente, en décembre 2005, qu’ils ont
tenté d’accuser de participation à la manifestation de Trèbes. Devant les
réactions des intéressés, ils ont préféré faire disparaître ce faux-lÃ
du dossier qui a servi à inculper en fin de compte Bové et quatre
autres militants de la Confédération et de Greenpeace.
Le gendarme de Trèbes s’est rendu coupable d’un faux en écriture
publique, passible, au terme de l’article 441-4 du Code pénal, de trois
ans d’emprisonnement de 45 000 Euro d’amende.
Commentant cette histoire proprement incroyable devant une assistance
fournie réunie dans la salle du Dôme à Carcassonne, mercredi soir, José
Bové, a dénoncé cette criminalisation de la résistance à ce qu’il est
convenu d’appeler le désordre mondial, et ces intimidations dont,
dit-il, un homme est responsable : Nicolas Sarkozy, ministre de
l’Intérieur. Et cette criminalisation ne se limite pas à la France. En
2003, raconte Bové, il figurait sur la « liste noire  » (nom officiel),
dressée par la police mexicaine en collaboration avec toutes les polices
de la planète, des indésirables interdits de séjour à Cancún, pour les
manifestations contre l’OMC.
« Quand je suis arrivé à l’aéroport de Hong Kong, en décembre 2005, les
ordinateurs de la police sino-mondiale se sont mis à clignoter
furieusement et ils ont menacé de me remettre dans l’avion. J’ai pu
enfin entrer sur le territoire grâce à une interview téléphonique avec
France-Inter. En février 2006, à New York, le FBI a voulu m’empêcher
d’entrer sur le territoire américain. Raison invoquée : j’étais coupable
de « turpitude morale  ». C’était ce qui était marqué sur les
formulaires. J’ai demandé au flic du FBI : "C’est quoi, la turpitude
morale ? Pédophilie ou quelque chose de dégueulasse dans ce genre ?  » Le
flic m’a répondu : "Non, ça veut dire que vous êtes un danger pour nos
entreprises présentes en France, vous combattez MacDonald et Monsanto."
La même chose m’est arrivée plus tard au Canada.  »
Bové évoque aussi cette autre affaire incroyable : des faucheurs
volontaires ont été convoqués par la police à Nîmes pour qu’on puisse
faire des prélèvements sur eux afin de les entrer dans le fichier ADN.
Ou comment un système inventé pour pister des criminels est
utilisé contre des citoyens exerçant des droits garantis par la
Constitution. « Malgré les poursuites, les intimidations, nous n’avons
pas peur de nous engager pour l’intérêt collectif , à visage découvert,
dans des actions non-violentes. Qu’est-ce qu’on risque ? D’avoir la tête
coupée ? La peine de mort a été abolie, On ne risque donc rien.
Continuez à désobéir. Quand les canaux de la démocratie ne fonctionnent
plus, c’est comme ça qu’on reconstruit la démocratie.  »
Les jeunes gendarmes de Trèbes se sont fait ces derniers temps une
réputation d’enfer auprès de la population locale. Leurs prédécesseurs,
partis à la retraite, étaient considérés comme « laxistes  » : lorsqu’ils
avaient à intervenir parce que des jeunes faisaient un peu trop de bruit
le soir avec leurs cyclomoteurs, ils arrondissaient les angles et ne
verbalisaient pas. Leurs enfants faisaient partie de ces jeunes. Les
gendarmes et gendarmettes de la génération Sarkozy, c’est tout autre
chose : ils ne jurent que par leurs ordinateurs et leurs menottes et
sont incapables d’établir un rapport réaliste et équilibré avec la
population « justiciable  ».
Un jeune homme doté d’une magnifique chevelure rasta lui descendant
jusqu’Ã mi-cuisses et digne de figurer dans le Guiness des records me
raconte ainsi, tandis que nous fumons à l’extérieur de la salle du
meeting, que, habitant à Trèbes, un jour qu’il se promenait dans les
vignes, il est interpellé par un de ces mêmes gendarmes, qui lui
demandent « Qu’est-ce que vous portez sur la tête ?  » Réponse : « Mes
cheveux  ».
Quant au gendarme du faux en écriture contre José Bové et au procureur
qui a avalisé son faux, ils doivent ce soir s’arracher les cheveux et
avoir du mal à trouver le sommeil : j’imagine le savon qu’ils ont dà » se
faire passer par petit Nicolas, candidat à la magistrature suprême de la
République française, cinquième du nom.
Fausto Giudice, 8 mars 2007
Commentaires