On pourrait croire à une chaîne de petites nécessités. La nécessité d’ouvrir un compte en banque, à un moment où il est difficile de payer en liquide pour plein d’autres nécessités : avoir de l’eau, de l’électricité, payer son loyer, percevoir son salaire. La nécessité, pour cela, d’avoir des papiers en règle, et, derrière cela, la nécessité que tout le monde soit enregistré, comptabilisé, numéroté. De l’autre côté, des nécessités politiques, policières et juridiques. Faire 25 000 expulsions de sans-papiers d’ici la fin de l’année, remplir, dans chaque commissariat, son quota de basse besogne, satisfaire un bon vieux racisme de l’électorat, foutre la pression sur les sans-papiers qui restent, pour qu’ils continuent à accepter d’être payés au lance-pierre. Dernières nécessités : celle de suivre les consignes policières pour les officines bancaires et celle, pour les employés de café, de ne pas trop s’opposer aux flics qui viennent les emmener en centre de rétention.
Tant de nécessités pour se justifier et justifier que cela arrive. Quoi ? Qu’un sans-papier se fasse prendre dans un café, juste après être sorti de la BNP de la Mairie de Montreuil. C’était ce mercredi 25 octobre, en pleine journée. Le BNP a signalé aux flics que c’était un sans-papier, et les gens du café n’ont pas empêché l’arrestation. Les grandes nécessités aboutissent à ce genre de cas particuliers : des gens qui bossent, habitent, vivent dans le quartier se retrouvent, d’un coup, pris dans une grosse machine, faite d’uniformes, de prisons spéciales, de justice expéditive et de charters.
Cette machine à harceler, à rafler, à expulser, personne ne la voit vraiment. Pas de terreur massive, mais plutôt une terreur de basse intensité : des camions, qui honteusement, se remplissent en changeant rapidement de lieux de cargaison, des agents qui font des contrôles au faciès, des employés qui font leur travail. Rien de spectaculaire. Juste une composition entre de l’indifférence, des petites lâchetés et un goà »t de saloperie … et chacun croit que cela ne choque pas celui d’à côté. Comme ce mercredi, à Montreuil.
Dans cette indifférence, il y a toute une culture : une manière de détourner le regard, de ne pas parler de ce qu’on fait dans la journée, de ce qu’on a vu ou entendu, une manière de toujours se renfermer dans sa bulle et de garder secrète sa honte, ses cris qui n’ont pas su sortir, les gestes que l’on n’a pas su faire. On croit que c’est la peur et pourtant ce n’est qu’un manque de confiance dans celui qui se trouve à côté, qui lui aussi, peut éprouver la même chose. L’expérience démontre qu’une première protestation en engendre d’autres, que deux personnes qui s’arrêtent pour dire leur refus, c’est le début d’un attroupement ; l’expérience démontre que chacun, s’il prend la peine de commencer, peut stopper une rafle ; l’expérience démontre qu’à son niveau – sur son lieu de travail, dans son quartier, dans son école – il est possible, en commençant à en parler et à s’organiser, d’empêcher que cela arrive.
On parle parfois de Montreuil comme d’une ville populaire alors que les sans-papiers, qui comptent pour une bonne part des ouvriers de la ville, sont constamment pourchassés. Se solidariser avec eux, montrer qu’il existe encore dans cette ville des liens qui ne peuvent se défaire à coups de matraque permet de reprendre pied face à ce qui se subit dans l’isolement.
Ce mercredi, il est arrivé quelque chose. Quelque chose qui ne devrait jamais arriver. Nous sommes déjà nombreux à être avertis quand une rafle massive a lieu, et à entraver l’activité de police. Nous pensons que nous pourrions être encore bien plus dans ces moments là . Il s’agit de faire comprendre que lorsque l’on s’attaque à un, on s’attaque à tous – et que nous entendons bien défendre nos quartiers.
Texte d’un tract anonyme distribué le 25 octobre à côté de la BNP, place Jean-Jaurès à Montreuil
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