Les politiques anti-sociales et le traité modificatif forment un tout cohérent. Comment le faire comprendre ?

Le Bourgeois bonhomme
Publié le vendredi  23 novembre 2007

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Jean-Marie Harribey est professeur en sciences économiques et sociales àl’université Montesquieu-Bordeaux IV et co-président d’ATTAC (association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens).
Il vient de publier une parodie de la célèbre scène IV de l’acte II du Bourgeois gentilhomme de Molière.
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Le bourgeois bonhomme

Le bourgeois bonhomme Acte II, scène IV

Parodie du Bourgeois gentilhomme, de Molière

Maître de philosophie politique, Monsieur Sarkodain

Maître de philosophie politique.
– Venons-en ànotre leçon.
Monsieur Sarkodain.
– Ah ! Mon Maître, que ne vous fussiez venu plus tôt, afin que vous m’aidassiez àparer les coups qui plurent sur moi.
– Ces coups ne sont rien pour un philosophe. Que voulez-vous apprendre pour tremper votre caractère ?
– Tout ce que je pourrai, car j’ai toutes les envies du monde d’être un grand président ; et j’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas fait bien étudier la science politique quand j’étais jeune.
– Votre sentiment vous honore. Nam sine potentia vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela et vous savez le latin sans doute !
– Oui, mais faites comme si je ne le savais pas : expliquez-moi ce que cela veut dire.
– Cela veut dire que sans le pouvoir, la vie est presque une image de la mort.
– Ce latin-làa raison. Mais qu’avez-vous àme dire de plus ?
– Par où vous plaît-il que nous commencions ? Voulez-vous que je vous apprenne la logique de la politique ?
– J’ai hâte de connaître cet art, Maître.
– Il s’agit en effet d’un art, qui obéit àtrois principes.
– Que sont-ils, ces trois principes ?
– Le premier, le deuxième et le troisième. Le premier est de bien diviser. Le deuxième est d’additionner les avantages pour les puissants. Le troisième est de soustraire l’information àla vue des manants. Ce sont làles trois principes de l’art de bien gouverner qui permet de multiplier honneurs et richesses.
– Honneurs et richesses ! Pour les gouvernants ? En êtes-vous certain ?
– Honneurs pour vous et richesses pour vos commanditaires, qui ne manqueront pas, soyez-en sà»r, de vous en faire profiter sur leurs yachts et dans leurs châteaux.
– Je vous entends, Maître, mais apprenez-moi la grammaire de cet art.
– Très volontiers. Commençons par diviser.
– Allons vite au dénouement, car j’ai déjàprocédé àdes expériences, il me semble.
– Vous ne devez rien laisser au hasard. D’abord, dresser le public contre le privé, puis le privé contre le public. Quand il sont neutralisés, les dresser tous les deux contre les spéciaux. Ce n’est qu’alors que vous aurez le champ libre pour les maintenir au travail ad vitam.
– Cher Maître, vous me comblez de joie, car c’est presque fait. Donnez-moi franchement votre sentiment : suis-je sur la voie de la sagesse politique en ayant opposé ceux qui se lèvent tôt et ceux qui paressent, ceux qui travaillent et ceux qui quémandent, ceux qui font grève et leurs otages, ceux de souche et ceux dont l’ADN doit être vérifié ?
– Je suis fier de vous compter parmi mes disciples. C’est un premier pas. Cependant, il ne faut point vous en satisfaire. Vous devez apprendre maintenant àadditionner les avantages que pourront collectionner les puissants.
– Certes, mais ils ont déjàbeaucoup.
– Le principe de l’addition, c’est accumuler. Donc, beaucoup n’est jamais suffisant puisque beaucoup n’est pas tout. Nous entrons dans la dialectique de l’accumulation : l’enrichissement doit toujours se polariser davantage, sous peine de s’éteindre.
– Maître, j’ai amenuisé les charges sociales, j’ai refusé tout net l’augmentation du SMIC et j’augmente la durée du travail en même temps que j’invente le bouclier fiscal et l’impôt libératoire pour les plus-values et que je supprime l’impôt de bourse. Que puis-je faire de plus ?
– Il convient dorénavant de vous attacher àlégitimer, aux yeux de tous, ces mesures propres àfaire sortir la France du programme du Conseil national de la résistance et àla faire entrer résolument dans le XXIe siècle.
– Maître, vous me parlez un langage qui est mien. J’excelle en communication.
– Monsieur, je ne vous entretiens pas de communication mais de légitimation.
– Qu’est-ce àdire Maître ? Vous me surprenez.
– Nous pénétrons le troisième principe de l’art de gouverner : soustraire l’information juste àla vue de vos sujets et lui substituer une fabrication de l’opinion.
– Oui, n’est-ce pas le travail que je confie àmes communicants et auquel je m’astreins moi-même en allant jour et nuit sur le terrain ?
– Vous n’y êtes point, je veux dire sur le chemin de la compréhension.
– Maître, vous me peinez, car je suis partout et je donne le ton.
– L’art de la soustraction en politique consiste àfabriquer une opinion de telle sorte qu’elle croie qu’elle est la source d’elle-même.
– Maître, comme vous dites cela ! Concrètement ? J’ai déjàTF1, France Inter, France Info et toutes les radios. J’ai les sondeurs avec Parisot àleur tête.
– Insuffisant.
– J’ai Le Figaro, Le Monde, Libé, toute la presse régionale. Il ne me manque que l’Huma, et encore, elle accompagne les petits pas de Thibault.
– Ce n’est pas assez.
– Je mange avec Bouygues, Lagardère, Arnault et je me détends chez Bolloré. Si je me montre davantage, je crains que le peuple ne finisse par me jalouser.
– Le peuple jalouse celui qui est immédiatement au-dessus de lui, pas celui qui est cent coudées plus haut. Vous avez donc bien fait de tripler votre revenu ; ainsi, le peuple ne pourra vous atteindre de son regard envieux, dès lors que vous aurez multiplié les écarts. N’oubliez jamais cette leçon : la multiplication des pains ou celle des inégalités sont le début de l’ère des miracles.
– Fort bien, mon état de grâce durera autant que ma présidence.
– Ne vous y fiez pas ! La vérification de l’exécution des principes de l’art de la politique est nécessaire àtout moment.
– Comment puis-je être certain que… ?
– Passons aux leçons pratiques, voulez-vous.
– Je vous écoute, Maître.
– Vous projetez de faire travailler les salariés 40 ans, puis 41, 42. Où vous arrêterez-vous ?
– Je ne m’arrêterai pas puisque l’espérance de vie s’allonge.
– Que répondrez-vous s’ils font valoir que la richesse augmente plus vite que l’espérance de vie ?
– Ils ne poseront pas cette question car personne dans les médias ne les aura mis sur la piste.
– Ils ont des syndicats qui le savent et certains économistes sont passés àl’Attac. Vous justifiez la réforme des retraites par les projections démographiques de votre Conseil d’orientation des retraites qui table sur un accroissement de 3/4 en 50 ans du ratio de dépendance des retraités par rapport aux actifs d’ici 2050. Or le même Conseil établit que parallèlement la productivité augmenterait une fois et demie plus vite. Que direz-vous quand on comparera ces deux prévisions effectuées par le même organisme ?
– Je dépêcherai Baverez, Marseille, Sylvestre, Le Boucher et bien d’autres qui diront que c’est faux même si c’est vrai.
– Cela ne suffira pas, malgré leur talent, car l’INSEE et le Conseil d’orientation des retraites ont déjàvendu la mèche.
– Alors, c’est fichu ?
– Non, àcondition de pratiquer une dérivation.
– Dériver, est-ce une nouvelle opération comme diviser, additionner et soustraire ?
– En quelque sorte. Vous soulevez un autre problème, que vous amalgamez au précédent qui se trouve ainsi noyé. Vous n’en manquez pas, de problèmes.
– J’ai l’assurance maladie en déficit depuis que nous avons diminué les cotisations àla charge des entreprises ; j’ai la dette publique parce que mes amis réclament autant d’intérêts que ne peut en couvrir l’impôt sur le revenu que je suis bien obligé de lever encore un peu ; et j’ai l’Université qui végète en attendant que la loi Pécresse ouvre ses portes aux forces vives de la nation. J’ai ficelé le tout dans un paquet et j’ai informé qu’il fallait réformer. J’ai même inventé un Grenelle de l’environnement au terme duquel on troquera quelques taxes écologiques contre des cotisations sociales en moins.
– Que rétorquez-vous aux rebelles qui vous disent que les privilèges ne sont pas làoù vous les signalez ?
– Que le mérite a sa récompense et l’indolence sa sanction. Travaillez plus pour gagner plus, tel est le secret de la réussite.
– Monsieur, gardez-vous d’une certaine rhétorique sur le travail ; elle pourrait se retourner contre vous. Le hold-up sur Marx, Jaurès et Blum pourrait vous coà»ter en lectures fastidieuses. Tout ne se lit pas aussi facilement que la lettre de Guy Môquet.
– J’ai compris l’essentiel grâce àce bon Guaino.
– Vérifions s’il vous plaît, pour vous éviter une mise àdécouvert. Vous prétendez publiquement qu’il faut travailler pour produire de la richesse. Voilàune idée que vos adversaires qui s’affublent de l’étiquette socialiste n’osent plus revendiquer. Comment justifiez-vous alors l’ouverture de la protection sociale aux compagnies d’assurances et aux fonds de pension, lesquels ne produisent rien, sinon de la spéculation ?
– Maître, vous m’embarrassez. J’ai trouvé cette idée au Medef et donc elle doit être bonne. Elle est confortée par le Fonds monétaire international, àla tête duquel j’ai placé quelqu’un de fiable, et par la Commission européenne sur laquelle je pourrai toujours repousser la faute si ça ne marche pas.
– Nous y voilà. Je reconnais en vous une potentialité très grande. Si une mesure réussit, elle est portée àvotre crédit ; si elle échoue, elle émane de l’Europe. Cependant, vous devez être àmême d’afficher àtout moment votre résolution àrespecter la démocratie, car c’est une condition de la légitimité, notre troisième principe de l’art de gouverner. Or les Français ont repoussé par référendum le Traité constitutionnel européen. Vous vous êtes engagé àhonorer ce choix et vous projetez de ne pas les consulter pour la ratification du nouveau traité. Ou bien les deux traités sont àce point différents qu’une nouvelle méthode de ratification peut dans une certaine mesure se justifier ; ou bien ils sont semblables et il faut soumettre le second au même jugement que le premier. Dites-moi comment vous sortez de ce dilemme et je vous dirai si vous êtes àla hauteur que vous ambitionnez d’atteindre.
– Maître, vous me mettez àl’épreuve. Les deux traités sont pareils, mais je ne veux pas de référendum.
– Pourquoi ?
– Des référendums sur le nouveau traité européen seraient dangereux et perdants en France, en Angleterre et dans d’autres pays. Il y a un gouffre entre les peuples et les gouvernements.
– Monsieur, je vous félicite, parce que vous venez d’ajouter la pièce qui manquait àl’édifice de votre art en politique : le cynisme. Vous irez loin.
– Maître, je vous en remercie. Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je veux léguer àla France une œuvre littéraire, car je ne veux pas que l’on dise plus tard que j’avais une plume àl’Elysée qui écrivait tout pour moi. Je voudrais que vous m’aidassiez àrédiger le prologue de cette œuvre, que je souhaite grande, et dont le peuple s’enivrera.
– Excellente idée. Est-ce de la philosophie politique que vous voulez écrire ?
– Non, non, point de philosophie.
– Vous ne voulez qu’une Å“uvre de vulgarisation ?
– Non, je ne veux ni philosophie, ni vulgarité.
– Il faut bien que ce soit l’une, ou l’autre.
– Pourquoi ?
– Pour la raison, Monsieur, qu’il n’y a d’œuvre que philosophique ou vulgaire.
– Il n’y a que la philosophie ou la vulgarité ?
– Monsieur, tout ce qui n’est point philosophique est vulgaire ; et tout ce qui est vulgaire ne peut être philosophique.
– Et notre conversation, qu’était-elle ?
– De la philosophie.
– Quoi ? Quand je dis : « Guaino, écrivez-moi un discours qui dise le contraire de ce qui est vrai Â », c’est de la philosophie ?
– Oui, Monsieur. De la philosophie politique.
– Par ma foi, il y a plus de cinquante ans que je fais de la philosophie, sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc mettre en prologue de mon ouvrage dédié àla France : Belle France, vos richesses me font mourir de désir.
– Il faut bien étendre un peu la chose.
– Non, vous dis-je, je ne veux que ces paroles-làdans le prologue ; mais tournées àla mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on peut les mettre.
– On peut les mettre premièrement comme vous avez dit : Belle France, vos richesses me font mourir de désir. Ou bien : De désir mourir me font, Belle France, vos richesses. Ou bien : Vos richesses de désir me font, Belle France, mourir. Ou bien : Mourir vos richesses, Belle France, de désir me font. Ou bien : Me font vos richesses mourir, Belle France, de désir.
– Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ?
– Celle que vous avez dite : Belle France, vos richesses me font mourir de désir.
– Cependant, je n’ai point étudié, tellement ma haine des intellectuels est grande, et j’ai fait cela du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et vous prie de venir demain de bonne heure.
– Je n’y manquerai pas, car je fonde de grands espoirs en vous : sous une apparence bonhomme, vous cachez une main déterminée et ferme. Surtout, gardez cette main invisible. Mais ce sera l’objet d’une autre leçon.
– … ?

En ce 20 novembre 2007, la clameur de la rue interrompit ce dialogue…

JMH


Commentaires

jeudi 27 décembre 2007 à 09h09

Vraiment n’importe quoi !!! C’est certainement pas ATTAC qui va changer ce bas monde…

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