Analyse de la lettre de mission de Sarkozy àDarcos

par Frédéric Caupin, ENS Ulm
Publié le jeudi  20 décembre 2007

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La loi « Libertés et Responsabilités des Universités  » (LRU), votée le 10 aoà»t 2007, sous couvert de conférer la sacro-sainte Autonomie aux Universités, prépare en réalité le démantèlement du service public d’enseignement supérieur. On sait l’ampleur du mouvement qu’elle a suscité et qui réclame son abrogation.
Pendant ce temps, une commission se réunit dans les salons dorés de la République : la commission Pochard. Que prépare-t-elle ? Rien de moins que l’« autonomie  » des établissements scolaires.

Officiellement, la commission est chargée de réfléchir sur le métier d’enseignant. Plus exactement, dans la lettre de mission envoyée le 20 septembre 2007 àMarcel Pochard, Conseiller d’État, disponible sur http://www.education.gouv.fr, Xavier Darcos explique : « Le Président de la République et le Premier Ministre m’ont demandé, dans la lettre de mission qu’ils m’ont adressée, de mener le chantier de la redéfinition de la condition enseignante et d’entreprendre une large concertation avec l’ensemble des acteurs de la communauté éducative et notamment, des représentants du monde enseignant. Ce processus, qui doit s’achever au printemps, se déroulera en deux temps : l’élaboration d’un état des lieux argumenté, sous formes d’un Livre Vert, puis celui de la proposition du gouvernement et de la négociation, sur le fondement d’un Livre Blanc  ». Mis àpart les talents chromatiques cachés de Xavier Darcos, avouons que cela ne nous apprend pas grand-chose. Pour en savoir plus, mieux vaut directement lire la lettre de mission envoyée le 5 juillet 2007 par Nicolas Sarkozy et François Fillon àXavier Darcos, disponible sur
http://www.elysee.fr [et reproduite sur notre site NDLR]. En effet, les conclusions d’une commission ministérielle se trouvent souvent dans la lettre qui en est àl’origine…

Nous allons voir qu’elle suit une logique en tous points identiques àcelle mise en Å“uvre pour la LRU. Tout d’abord les deux premiers paragraphes sont communs àtoutes les lettres de missions destinées aux différents ministres, y compris àValérie Pécresse. Le résultat de l’élection présidentielle y est en quelque sorte présenté comme un référendum anticipé sur toutes les réformes présentes et àvenir. Ensuite, le constat est semblable : l’échec en licence est remplacé par « les 20 % des élèves [qui] sortent du système scolaire sans qualification  ». Dans les deux lettres, une prétendue « bataille mondiale de l’intelligence  » risquerait d’être perdue si tant pour nos établissements scolaires que pour nos Universités, l’objectif de gagner des places dans les tout puissants « classements internationaux  » n’était pas rempli. Enfin, quelques citations nous montrent que les modalités sont les mêmes :

  • autonomie : « vous donnerez d’abord àtous les établissements plus de souplesse et d’autonomie, en particulier dans le domaine budgétaire, pour leur permettre de mettre en Å“uvre, sous le contrôle bien sà»r de l’autorité académique, un projet pédagogique qui leur soit propre  » ;
  • « orientation active  » et mission d’insertion professionnelle : nous estimons que tous les élèves, dès la classe de cinquième, devraient suivre un parcours de découverte des différents métiers. Ce sera le rôle d’un nouveau service public de l’orientation, que vous mettrez en place, que d’organiser ce parcours et de donner àchaque famille et àchaque élève des informations pertinentes, fondées sur des évaluations précises et publiques, sur les différentes filières de l’enseignement supérieur et de l’enseignement technique et professionnel. La réussite scolaire, c’est que chaque enfant puisse s’orienter dans une voie qui corresponde àses projets personnels, àses talents, aux besoins du marché du travail ;
  • chantage de l’évaluation : « Vous garantirez la liberté pédagogique des enseignants, en contrepartie de quoi vous les évaluerez plus régulièrement sur la base des progrès et des résultats de leurs élèves.  », « une évaluation régulière des enseignants sur la base des progrès et des résultats de leurs élèves, et non pas sur les méthodes qu’ils utilisent  », « une évaluation en profondeur des établissements, qui sera disponible pour les familles ; enfin, une évaluation indépendante et régulière de l’ensemble de notre système éducatif, afin que l’autorité politique puisse en permanence prendre les décisions nécessaires pour garantir la qualité de l’école et sa capacité àrépondre aux obligations et aux attentes du monde contemporain  » ;
  • mise àmort des concours nationaux (CAPES, AGREG) et des statuts associés : « La formation des enseignants devra durer cinq ans et sera reconnue par un diplôme de niveau master  » ;
  • employer moins d’enseignants pour (peut-être) les payer plus, en individualisant les carrières : « Nous voulons également que la rémunération des enseignants corresponde mieux àl’importance de leur rôle pour la nation, àcourt terme en permettant aux enseignants qui veulent travailler plus pour gagner plus de le faire, àmoyen terme en conciliant mieux l’évolution des effectifs et l’évolution des rémunérations. Nous souhaitons que le mérite soit reconnu, tant au niveau individuel que collectif. C’est possible tout en étant objectif. Il nous semble naturel que chaque enseignant puisse maîtriser, par son travail, l’évolution de sa carrière et de ses revenus en s’investissant comme il le souhaite dans son métier principal et dans des activités complémentaires. Les obligations de service des enseignants devront tenir compte de cette nouvelle liberté qui leur est offerte  », « l’engagement présidentiel d’embaucher un fonctionnaire pour deux partant àla retraite.  »

Il y a aussi des mesures plus spécifiques àl’enseignement scolaire, par exemple une sorte d’« enseigner moins pour apprendre plus  » : le projet « pose la question de l’ampleur actuelle des programmes scolaires et de la surcharge horaire imposée aux enfants, dont les journées de travail sont parfois plus longues que celles de leurs parents. De fait, les enfants français ont des emplois du temps plus lourds que leurs homologues étrangers sans que cela se traduise par un niveau scolaire général sensiblement supérieur. Vous ouvrirez donc une réflexion sur la manière de réduire le volume horaire imposé aux enfants tout en valorisant les activités collectives et d’ouverture, et sans renoncer ànos exigences essentielles.  »

Pour être honnête, reconnaissons que les membres de la commission peuvent avoir d’autres idées. Qui sont-ils ? Parmi eux, on trouve, entre autres, un ancien premier ministre d’une autre majorité, deux professeurs de l’Enseignement Supérieur et deux directeurs de recherche. Comme membre de l’Education Nationale, seul un inspecteur général est présent ; c’est normal, pour demander leur avis aux professeurs, la grande concertation suffira… En revanche siègent deux éminents experts : Foucauld Lestienne, directeur délégué des ressources humaines et des relations sociales du groupe La Poste, et Philippe Manière, directeur général de l’Institut Montaigne, présentateur de l’émission « les grands débats du mardi  » sur B.F.M., éditorialiste au mensuel Enjeux-Les Echos. Justement, l’Institut Montaigne, qui se définit comme un « think tank indépendant  », a publié en novembre 2001 un rapport intitulé « Vers des établissements scolaires autonomes  », disponible sur http://www.institutmontaigne.org

On peut y lire : « Nous proposons de donner aux établissements publics ou privés, qui en feront la demande, les moyens de la plus large autonomie possible sans que pour autant l’éducation cesse d’être nationale :

  • Que soit reconnue au chef d’établissement la possibilité d’orienter la politique de son école - dans le cadre du projet d’établissement - et d’avoir une réelle capacité de choix pour organiser les enseignements.
  • Que l’enseignant puisse faire le choix de l’établissement auquel il souhaite collaborer en fonction des orientations pédagogiques de celui-ci.
  • Qu’il y ait entre le chef d’établissement et l’enseignant un acte de cooptation et d’embauche, rompant avec la routine aveugle des carrières au barème.
  • Que, dans un monde complexe et mouvant, l’initiative laissée aux établissements offre aux élèves une diversité de formations.  » Ou encore :
  • « Donner aux chefs d’établissement la possibilité de recruter leurs collaborateurs après appel de candidature ou candidatures spontanées, dans la mesure où les candidats sont habilités.
  • Donner aux enseignants, d’abord mus par le goà»t de transmettre une culture, la possibilité de recevoir en des lieux divers une formation permanente qualifiante.
  • Donner àdes personnes compétentes engagées dans d’autres professions la possibilité d’être habilitées àenseigner.
  • Accorder aux établissements une totale autonomie financière, en particulier dans la gestion de la masse salariale.
  • Constituer des conseils d’administration et conseils stratégiques qui assistent la direction dans sa tâche et lient l’école àson environnement social, économique et culturel.
  • Introduire dans les établissements une culture de l’évaluation et de la transparence.  »

On voit que la LRU et la future réforme des établissements scolaires s’inscrivent dans la même logique : appliquer des recettes manageriales en déréglementant le « marché du travail  » des personnels, préparer le désengagement de l’État et mettre en concurrence les établissements.

N’attendons pas les conclusions de la commission Pochard ! Dès maintenant, appelons nos collègues de l’enseignement scolaire et leurs organisations àrejoindre le mouvement contre la LRU !

Frédéric Caupin

Maître de conférences àl’École Normale Supérieure


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