3 juin 2007,
Par Christian Berdot
L’Allemagne aurait donc décrété un moratoire sur le MON 810 et la France suivrait bientôt… Derrière l’agitation médiatique, il est important de faire la part des choses.
Allemagne : un OGM (suspendu) peut en cacher d’autres !
Si l’on prend la peine de lire le décret allemand – ce que les Amis de la Terre ont fait pour le traduire [1] - on découvre que l’Office Fédéral justifie la suspension du MON 810 en citant une quinzaine d’études dont la plupart datent d’avant 2003 et les dernières de 2006 ! Il ne s’agit donc pas vraiment de découvertes de dernière minute, loin s’en faut… Reconnaissons cependant que la situation allemande n’est pas banale : des agriculteurs cultivent actuellement une plante dont la culture est officiellement suspendue car elle pourrait poser des problèmes à l’environnement…
Les études mentionnées dans le décret sont pourtant connues de tout le monde depuis des années, alors pourquoi M Seehofer, Ministre allemand de l’Agriculture, a-t-il attendu jusqu’à fin avril 2007, pour sortir ce décret « suspendant » le maïs MON 810 ?
Il y a fort à parier que les trois raisons principales sont les suivantes :
M Seehofer n’a jamais eu l’intention d’empêcher les agriculteurs de planter ce maïs cette année et il leur a laissé le temps de le semer en toute tranquillité.
M Seehofer n’a jamais eu l’intention de gêner Monsanto. En début d’année, Monsanto a déposé à Bruxelles son dossier de demande de prolongement de l’autorisation. En effet, le maïs MON 810 a été autorisé, il y a 10 ans, dans le cadre de l’ancienne directive, et cette autorisation doit être révisée, l’an prochain. Les demandes faites à Monsanto par l’Allemagne correspondent de toute façon aux exigences de la nouvelle directive et Monsanto a sûrement déjà bien préparé son plan de surveillance (monitoring).
Par cette décision sans portée réelle, Mr Seehofer essaye de soigner son image. En effet, le ministre de l’Agriculture allemand, comme les conservateurs du gouvernement de Mme Merkel, n’ont jamais caché leur intention de « réformer » la Loi sur les biotechnologies qui est la transcription en droit allemand de la directive 2001/18. Cette loi – même si elle laisse encore trop de marge de manœuvre aux grands propriétaires terriens de l’ancienne Allemagne de l’Est - n’en est pas moins, aujourd’hui, la plus protectrice en Europe. M Seehofer a donc comme objectif de revoir à la baisse les dispositifs clés de cette loi [2]. N’oublions pas que deux des principales firmes de biotechnologies, Bayer et BASF, sont allemandes et qu’outre Rhin, on ne peut rien leur refuser…En prévision d’une forte opposition des citoyens allemands au démontage de la Loi sur les biotechnologies, M Seehofer essaye donc d’endormir l’opinion publique avec un « moratoire ».
Alors même que cette mesure ne devrait pas avoir de conséquences réelles sur la commercialisation du MON 810, le gouvernement allemand a reconnu être assiégé par les représentants de Monsanto et l’ambassade des Etats-Unis !
En France, M Juppé aurait prononcé le mot M…
Nous serions prêts à saluer un tel revirement et le fait que la France décrète enfin l’arrêt de la culture du Mon 810 - quitte à se mettre à dos ses bons amis états-uniens.
Mais reconnaissons que cela serait une réelle rupture avec les politiques précédentes alors :
- que le gouvernement Chirac / Sarkozy n’a pas eu le courage politique en 5 ans de transposer en droit français la directive européenne 2001/18 ;
- que le début de transcription adopté par la majorité UMP du Sénat équivaut, dans la pratique, à légaliser la contamination généralisée de l’environnement et de l’agriculture ;
- que le décret passé à la sauvette dans le dernier mois du quinquenat, ne garantit aucune protection pour les filières non-OGM ;
- que la politique d’information du public est indigne d’une démocratie [3], et que des peines lourdes sont prononcées régulièrement contre les Faucheurs.
(D’ailleurs M Juppé semble être revenu sur ses propos : "Je n’ai jamais prononcé le mot M…" [4].)
Car face aux risques cités par le gouvernement allemand dans son décret - ou par la Commission européenne dans le secret de la procédure contentieuse à l’OMC sur les OGM [5] - la seule solution est bien de stopper la culture de cet OGM, c’est-à-dire d’ordonner l’arrachage des plants déjà semés et d’arrêter toute autre autorisation d’OGM Bt.
Depuis des années, de nombreuses organisations écologistes ou syndicales demandent cette interdiction. Pourtant, les pouvoirs publics français, en toute connaissance des risques soulignés par les études scientifiques citées plus haut, refusent de prendre les mesures nécessaires. Au contraire, quelques agriculteurs extrémistes, protégés par les services de l’Etat et soutenus par les lobbies des semences et des OGM, peuvent planter, chaque année un peu plus d’hectares de ce maïs controversé [6]. L’Etat laisse délibérément pourrir la situation et la contamination génétique peut s’étendre irréversiblement…
Même l’évocation d’un « moratoire » light, à l’Allemande, fait réagir la nouvelle ministre de l’Agriculture, Mme Lagarde - anciennement ministre du Commerce extérieur qui suivait les négociations de l’OMC, notamment à Hong Kong [7] - pour qui une telle décicion n’est pas envisageable et certainement politiquement incorrecte vis à vis de l’OMC.
D’ailleurs, lorsqu’on évoque l’OMC, il faut savoir que les Etats-Unis rebrandissent à mots couverts cette "menace [8]. Leurs pressions sont aujourd’hui plus fortes que jamais pour que l’Union européenne abandonne une bonne partie de son dispositif réglementaire, qu’ils jugent trop restrictif. Dans une série de mails obtenus par les Amis de la Terre-Europe [9], on peut lire que les Etats-Unis veulent forcer la Commission à :
- ignorer les inquiétudes exprimées dans les évaluations des risques et pousser les OGM rapidement sur le marché ;
- accepter une procédure rapide pour les OGM que les Etats-Unis veulent vendre sur le marché européen ;
- autoriser un colza GM controversé comme preuve que la Commission est prête à accepter les exigences des Etats-Unis ;
- supprimer les interdictions nationales mises en place par les Etats-membres
- affaiblir les normes concernant la contamination génétique de l’alimentation par des OGM non autorisés dans l’Union européenne.
Malheureusement, lorsque le président de la République menace d’utiliser son veto à l’OMC, ce n’est pas pour résister aux pressions inadmissibles des Etats-Unis sur les OGM, mais pour « défendre avec détermination l’agriculture comme un élément de la puissance économique de notre pays ». Très probablement donc cette agriculture ultra-productiviste qui détruit ici l’environnement et déstabilise, par ses exportations subventionnées, les marchés agricoles de nombreux pays du Sud, poussant ainsi des millions de paysans à la ruine [10]….
Il est à craindre que les OGM ne soient considérés comme un élément de développement de cette puissance agricole. Comme disait Mr Juppé « On ne peut pas se mettre à l’écart de la recherche et du progrès » . Le risque est grand de voir nos gouvernants céder - plus que volontiers - aux pressions des Etats-Unis et ouvrir en grand notre pays aux OGM, pour mieux gagner sur d’autres secteurs agricoles…
Grenelle : les OGM sont un test
Les citoyens en Europe et en France savent que tout ce qu’ils ont obtenu après des années de luttes et de pressions - moratoire de fait, législation moins laxiste, début d’étiquetage, … - n’a été concédé qu’à contre coeur par des élites politiques et industrielles toutes acquises aux OGM. Alors, ce n’est pas le fait de nous faire miroiter un moratoire qui nous fera baisser la garde.
Avec les 10 années de recul sur les cultures commerciales d’OGM dans le monde, les faits s’accumulent :
- L’an dernier déjà, la Commission européenne reprenait à son compte les doutes émis par les opposants aux OGM agricoles.
- Cette année, l’Allemagne justifie la suspension du maïs MON 810 en s’appuyant sur des études scientifiques.
- L’Autriche, la Hongrie, la Pologne, la Grèce et de fait l’Italie ont un moratoire bloquant - au moins - cet OGM.
- Le rapport des Amis de la Terre-International publié en début d’année démontre sur la base d’études indépendantes que les OGM n’apportent que des problèmes mais pas de solution à la faim dans le monde, à la réduction de l’usage des pesticides ou à l’augmentation des rendements [11].
- Le dernier rapport des Amis de la Terre Europe démontre que les biotechnologies agricoles ont échoué et que des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement créent plus d’emplois [12].
Tous ces faits justifient largement un moratoire général sur les OGM agricoles en France et dans l’Union européenne. Si le gouvernement veut démontrer le sérieux de ses intentions dans le domaine de la protection de l’environnement, en matière agricole, le premier pas est d’ordonner l’arrachage du maïs MON 810 en France. Pas besoin d’ attendre "Grenelle".
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